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NOTES ET VARIANTES, VERS 277

de Venise, manusc. fr., xiii.) Mais ce n’est pas encore à Ganelon lui-même que nous avons affaire. Albéric de Trois-Fontaines (?) le fait naître à Ramerupt (?). Il apparaît pour la première fois, au début d’Aspremont, avec son père « Grifon d’Autefeuille », et fait partie de la grande armée d’Italie : Ensemble o lui fu ses fils Guenelon — Qui de Rollant fist pus la traïson. (Éd. Guessard, p. 19, vers 79, 80.) Rien d’ailleurs ne fait encore pressentir son crime futur. Nous voyons bien dans Renaus de Montauban les fils du héros de ce poëme avoir maille à partir avec Ganelon, Hardré et Grifon d’Hautefeuille (éd. Michelant, p. 421, vers 26 — p. 442, vers 8) ; mais c’est là un anachronisme commis par l’auteur d’un roman qui appartient d’ailleurs à un tout autre cycle que celui du Roi. Quand Ganelon épousa-t-il Gille, la sœur de Charles, c’est ce qu’il est difficile d’établir. Son rôle ne commence à s’accentuer que dans l’Entrée en Espagne. Fidèle à la tradition primitive, l’auteur, ou plutôt le compilateur de ce poëme trop peu connu, représente à deux reprises Ganelon comme un brave chevalier et un loyal baron : Iloc fu Gaynes corageus e loial. (Manusc. fr. de Venise, n° xxi, fo 170, r°.) Dès la Prise de Pampelune, il devient odieux. C’est lui qui propose à Charles d’envoyer à Marsile les deux ambassadeurs Basan et Basile, et, quand ceux-ci ont été mis à mort par le païen (2597-2704), c’est lui, c’est encore lui qui propose d’envoyer un autre messager au Sarrazin ; c’est lui qui, pour se venger de Guron, contre lequel il a une rancune, une haine particulière (vers 2841), le fait choisir pour cette mission plus que dangereuse. C’est Ganelon enfin qui fait infâmement prévenir Malceris de l’arrivée du malheureux Guron, et qui est ainsi le véritable auteur de cette mort. (Vers 2740-3850.) Comme on le voit, l’auteur de la Prise de Pampelune dépasse ici toute mesure ; mais il sera un jour dépassé par l’auteur de Mabrian, qui nous montrera Ganelon étouffant, dans une caverne, Mangis et les quatre fils Aymon. (Édit. de J. Niverd, en 1530.) Au commencement de Fierabras (vers 245-365), Ganelon approuve hypocritement le duel d’Olivier avec le géant païen, et désire très-vivement assister à la mort de cet ami de Roland. Dans Renier de Gennes, c’est Grifon d’Hautefeuille et son fils qui sont les irréconciliables ennemis des fils de Garin de Monglane. (Ars. B. 4. F. 226, 34, r°.) Ganelon, partout et toujours, est nécessairement traître. Bien plus délicat et plus connaisseur du cœur humain est le poëte de la Chanson de Roland. Il nous fait assister, minute par minute, à la décadence de Ganelon. Au commencement de notre poëme, c’est encore un bon chevalier, un cœur loyal : la jalousie et la haine le font insensiblement descendre jusqu’au crime. Mais jusque dans sa trahison, jusque dans son châtiment, il conserve je ne sais quel air de grandeur. La « Chronique de