Page:Gautier - La Chanson de Roland - 2.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
262
NOTES ET VARIANTES

dât après ma mort. Dans ton pommeau se trouvent un morceau de dent de saint Pierre, du sang de saint Blaise et des cheveux de saint Denis. » Alors Roland sentit qu’il allait mourir ; il tomba sur ses genoux et dit : « Ô toi, Père qui es aux cieux, qui secours et sauves tous ceux qui ont foi en toi ; qui as ressuscité Lazare de la mort et délivré Daniel des horribles lions de Babylone, délivre maintenant mon âme des peines de l’enfer, et pardonne-moi tous mes péchés. » Puis il tendit ses deux mains vers le ciel, et là-dessus rendit son âme.

Après cela, l’Empereur vint à Runtseval et vit le grand dommage qui était arrivé : personne ne pouvait y venir à bout des corps morts. Alors l’Empereur dit à haute voix : « Où es-tu maintenant, Roland, et Oliver, et vous, les douze Pairs, que j’avais laissés ici derrière moi ? » Lorsqu’il comprit qu’ils étaient tous morts, il s’évanouit et tomba de son cheval. Personne des hommes de France n’eut en ce lieu le cœur assez dur pour ne point verser des larmes. Le duc Neimis dit : « Nous pouvons encore voir où les païens se sont enfuis. Courons après eux pour venger la mort de nos amis, et ne nous inquiétons pas des hommes morts. » L’Empereur se releva, pria vingt mille de ses hommes de rester auprès des morts, et chevaucha lui-même contre les païens. Et cela le conduisit presque au soir, avant qu’il les eût atteints. Donc il descendit de cheval et pria Dieu que le jour pût être prolongé. L’ange Gabriel vint à lui, et dit : « Dieu a entendu ta prière. Cours après tes ennemis : tu trouveras encore jour et lumière. »

L’Empereur courut après eux et en tua bientôt trois cents ; puis tous les autres païens s’enfuirent vers un lac, s’y noyèrent et prirent le chemin de l’enfer. Mais l’Empereur, ayant vengé la mort de ses amis, resta là pour la nuit. Au matin, il retourna à Runtseval, et là commença par voir où Roland était assis, et qu’il avait son épée dans une main et son cor dans l’autre. Il alla à lui avec une très-grande émotion (?), le baisa et dit : « Béni sois-tu, Roland, aussi bien mort que vivant ! Ton pareil n’a jamais été enfanté : tu étais et l’ami de Dieu et l’ami des hommes de bien. » Alors il tomba et s’évanouit, tellement que plusieurs disaient qu’il était mort. Oger le Danois versa de l’eau fraîche sur lui, et l’Empereur reprit ses sens, et pria un de ses chevaliers de prendre l’épée de Roland. Mais celui-ci ne put pas la retirer de la main de Roland. Alors l’Empereur envoya deux hommes pour prendre l’épée, mais ils ne purent détacher un seul doigt de la poignée. Alors il envoya cinq chevaliers, un pour chaque doigt, mais ils ne purent en aucune façon délivrer l’épée. Et l’Empereur dit : « Il n’eût pas été bon de vouloir la lui enlever de la main tant qu’il vivait. Aussi ne pouvons-nous pas l’avoir, maintenant qu’il est mort. Il a