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NOTES ET VARIANTES

voici en mauvais état, dirent alors les païens. Nous avons entendu le cor de l’Empereur ; si nous l’attendons, nous n’en reviendrons jamais vivants. » Donc ils s’enfuirent et dirent : « Roland est un si bon combattant, qu’il n’est jamais vaincu. » Sur ce, ils tuèrent le cheval de Roland, et s’enfuirent le plus rapidement qu’ils purent.

Roland roula en bas et tomba, et l’Archevêque lui retira son armure, qui était brisée en plusieurs morceaux. Lorsque Roland revint à lui, il se dressa, s’en alla où le combat avait eu lieu, y trouva les corps de ses pairs et les apporta aux pieds de l’Archevêque. Lorsqu’il trouva Oliver, il roula à terre et s’évanouit. L’Archevêque prit le cor Olivant et voulut puiser de l’eau pour en verser sur Roland ; mais il était lui-même coupé en deux entre les épaules et transpercé d’une épée ; aussi roula-t-il à terre. Roland reprit ses sens et dit à Oliver : « Voici pourquoi tu étais au monde : c’était pour défendre le Droit et établir la Rectitude ; c’était pour confondre l’Orgueil et l’Injustice. Aucun chevalier au monde n’était meilleur que toi. » Alors il le baisa sur la bouche, puis s’en alla vers l’Archevêque et lui demanda s’il vivait. L’Archevêque lui répondit tout bas, car il n’était plus bien vaillant : « Dieu nous accorde que l’Empereur arrive et aperçoive le dommage qui lui a été fait ! Et pourtant le roi Marsilius nous a encore payés bien cher. » Puis Roland s’en alla sur un tertre, s’assit entre quatre pierres de marbre et s’évanouit. Un païen alla à lui, qui semblait avoir été tué au milieu de l’armée ; il crut que Roland était mort, et dit : « Voilà que le fils de la sœur de l’Empereur est vaincu ; je vais emporter son épée et son cor en Arabie. » Il saisit la barbe de Roland et la tira très-fort ; sur ce, Roland reprit ses sens et dit : « Tu n’étais pas de nos hommes. » Alors il le frappa de son cor à la tête, si bien que ses deux yeux pendirent le long de ses joues et que sa tête fut fendue en deux. Et Roland dit : « Tout le monde t’appellera un fou, d’avoir osé voler ma barbe et mon cor. »

Puis Roland alla jusqu’à une montagne et voulut briser en deux son épée Durendal. Mais il ne put la briser de ce coup, et dit : « Durendal, tu es une bonne épée. Dans maint combat je t’ai portée, mais maintenant nous allons nous séparer. Or je prie Dieu qu’aucun ne te possède après moi, qui soit pusillanime et lâche. » Derechef, il frappa sur la montagne, et ne put briser son épée. Alors il dit : « Tu es une bonne épée, Durendal, et j’ai conquis bien des pays avec toi ! Dieu m’accorde que le comte de Cantuaria te possède, car il est un noble guerrier et chevalier. Voici les pays que j’ai conquis avec toi, dont l’Empereur est le maître, et qui sont : Angleterre, Allemagne, Poitou, Bretagne, Provence, Aquitaine, Toscane, Lombardie, Hibernie, Écosse ; or ce serait dommage qu’un homme de rien te possé-