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NOTES ET VARIANTES

en lui-même un long moment. Et, quand il eut fini sa prière, il se leva et alla là où Rollant gisait ; il toucha à l’épée, et elle gît libre devant lui. En ce moment, le Roi sut que ce que le duc Nemes lui avait dit était vrai. Il prit le pommeau de l’épée à cause des reliques qui s’y trouvaient, et il jeta la lame à l’eau loin de terre, parce qu’il savait qu’il n’appartenait à personne de la porter après Rollant. Ensuite il alla sur le champ de bataille rechercher les chrétiens, et il trouva les douze Pairs, qui gisaient l’un à côté de l’autre ; et cela, il sut que Rollant l’avait fait (?).

Chap. xl. — Puis le roi Karlamagnus fit enlever les corps des douze Pairs et les fit envelopper de bons linceuls ; et quand cela fut achevé avec grands égards, il se sentit vivement ému pour ses autres hommes qui étaient tombés, et il lui sembla que ce serait un grand malheur s’il ne pouvait réussir à distinguer leurs corps de ceux des païens. Alors Karlamagnus en parla avec le duc Nemes et tous ses gens : « Comment pourrait-il arriver à reconnaître les corps des chrétiens au milieu des morts ? » Le duc Nemes lui répondit, bien sagement et en homme de sens (veg-mann-liga, mot à mot, en homme qui connaît les voies et moyens), et parla de cette façon : « Il [m’]est avis d’admettre qu’ici, comme le plus souvent lorsqu’un grand embarras se présente, c’est Dieu, cause de tout, qui y peut et veut le mieux. Mon avis est donc pour cette fois d’invoquer le Dieu tout-puissant de tout cœur, afin qu’il nous aide en cette affaire. » Ceci parut au roi Karlamagnus un excellent conseil ; il veilla toute la nuit, et tous ses gens avec lui. Ils se mirent en prière, et demandèrent à Dieu tout puissant de leur faire voir clairement lesquels étaient ou les chrétiens qui avaient succombé, ou ces méchants païens qui s’étaient soulevés contre eux. Or, le matin suivant, lorsqu’ils vinrent pour la seconde fois reconnaître les élus, le Dieu tout-puissant avait ainsi exaucé leur prière, et la distinction suivante était faite entre les chrétiens et les païens : des buissons avaient poussé sur les corps des païens, tandis que ceux des chrétiens étaient tout découverts, tels qu’ils venaient de tomber. Alors le roi Karlamagnus fit faire un grand nombre de tombeaux très-vastes dans lesquels il réunit ceux qui étaient tombés sur le champ de bataille, et il fit ensuite recouvrir leurs corps de terre ; il fit amener là presque tout ce qu’il y avait [de ces corps], excepté Rollant et les douze Pairs. Or, la nuit suivante, les anges de Dieu dirent en songe au Roi que tous étaient sauvés, parmi les hommes de Karlamagnus qui avaient succombé. Puis le Roi fit faire de grandes et fortes bières, et y fit déposer les corps de Rollant, des douze Pairs, des chefs qui avaient succombé ; il fit mettre leurs douze corps dans les bières, et ensuite se mit en marche, lui et tous ses gens, avec grand éclat et hon-