Page:Gautier - La Chanson de Roland - 2.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
NOTES ET VARIANTES, VERS 3735

se relèvent tout à coup, le regard allumé et terrible. Ils chaussent les éperons d’or et les blancs hauberts, couvrent leurs têtes de heaumes étincelants, suspendent leurs écus à leurs cous et placent à leurs ceintures leurs épées à garde d’or. Les voilà enfin qui se lancent sur leurs chevaux rapides, et cent mille chevaliers se mettent à pleurer, « qui, pour Roland, de Thierry ont pitié. » (Vers 3862 et suiv.) Comme pour les quatre Tableaux qui précèdent, rien n’est plus facile que de découvrir ici l’origine germanique. L’Église, qui a le regard clairvoyant, qui comprend les hommes, qui lit si bien dans leurs âmes, l’Église condamnait ces combats judiciaires dans l’intime de son âme maternelle, et c’est grâce à son influence, n’en doutons pas, que dans la loi des Lombards furent écrites ces remarquables paroles : « Si, par respect pour les usages de la nation lombarde, nous ne pouvons défendre le jugement de Dieu, il ne nous en semble pas moins incertain, ayant appris que beaucoup de personnes avaient injustement perdu leurs causes par un combat singulier. » Mais l’Église s’était aperçue qu’elle ne pourrait aisément déraciner une telle coutume, et elle avait pris le sage parti de la pénétrer de christianisme, autant qu’il était possible. C’est pourquoi elle avait institué cette messe et ces cérémonies liturgiques qui devaient précéder le combat judiciaire. Rien n’est plus beau que ces prières. (M. Léopold Delisle a publié, dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, le Cérémonial d’une épreuve judiciaire au commencement du xiie siècle. V. la 18e année de ce Recueil, p. 253 et suiv.) Quand le champion allait entrer en champ, on disait pour lui la messe de la Résurrection, ou celle de saint Étienne, ou celle de la Trinité : « Missa. de la Resurrectiun, missam de sancta Trinitate, missa de sancto Stephano deit l’om dire por le campium quant il entret el camp. » Et après la « Messe du jugement » on chantait devant le champion le Symbole de saint Athanase. Touchante idée de faire une dernière fois professer publiquement toute la foi chrétienne à celui qui peut-être allait mourir ! (Cérémonial d’une épreuve judiciaire au xiie siècle, p. 257.)

« Nous ne suivrons pas toutes les phases du combat entre Pinabel et Thierry. Toutes les sympathies des Français sont évidemment pour l’avoué de l’Empereur et de Roland. Les yeux de tous les barons sont trempés de larmes, et le poëte prend plaisir à constater plusieurs fois cette douleur. (Vers 3880 et suivants.) Les deux champions, d’ailleurs, s’interpellent à la façon d’Homère : « Pinabel, dit Thierry, tu es un vrai baron ; tu es grand, fort et beau ; les Pairs connaissent ta valeur. Laisse ce combat, je te réconcilierai avec l’Empereur et lui ferai telle justice de Ganelon que jamais on n’en parlera plus. » Et Pinabel, qui mérite véritablement de défendre une