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NOTES ET VARIANTES, VERS 3735

réduit à l’impuissance, comme Charles dans l’affaire de Ganelon. L’Empereur est heureusement tiré de sa douleur par le frère du duc d’Anjou : « Beau sire roi, dit le chevalier, trêve à vos lamentations ! » Et il défie en champ clos tous les parents de Ganelon : Pinabel accepte le défi. Les deux champions échangent leurs otages, accomplissent les formalités légales, et Ogier de Danemarche proclame à haute voix qu’elles ont été remplies. Pinabel et Thierry se revêtent alors de leurs armes ; le jugement de Dieu va commencer. (Vers 3852-3857.)

« Ici encore le doute n’est pas possible, et nous sommes en pleine Germanie. Le campus ou duel est, en effet, commun à toutes les tribus barbares, excepté aux Anglo-Saxons. Cette ordalie recevait deux noms, celui de wehadinc, quand les deux parties combattaient en personne, et celui de camfwic, quand elles étaient représentées par des champions à gages. Il arrivait souvent qu’un parent se proposait pour combattre à la place d’une des parties, et c’est le cas de notre Chanson de Roland. Toutes les lois germaines offrent d’ailleurs des dispositions remarquables sur le combat judiciaire. (Loi des Bavarois, 17, 1, Decr. Tass., ch. xi. — Loi des Alamans, 44, 1 ; 84. — Loi des Bourguignons, tit. 80, 1-3. — Loi des Lombards, Roth., 164, 165, 166, 198, 203. Grimoald, t. VII. — Loi des Thuringiens, 15. — Loi des Frisons, 14, 7 ; 5, 1. — Loi des Saxons, 16. — Loi des Anglo-Normands, Guill. II, 1-3 ; III, 12, etc.)

« Nous n’avons rien à ajouter touchant les champions qui se substituaient souvent aux véritables intéressés dans l’épreuve du duel ou campus. Quand ils n’étaient pas les parents de l’une ou de l’autre des deux parties, les champions étaient l’objet d’un mépris universel. Ils s’en étaient montrés bien dignes. C’étaient de misérables hercules qui se mettaient platement aux gages du plus enchérissant. Chez les Bavarois (Loi des Bavarois, 17, 1, 2) et les Frisons (Loi des Frisons, 14, 7 ; 5, 1), le wehrgeld du champion est inférieur à celui de l’esclave : or, chez les Germains, c’est là le grand critérium de l’estime publique. Dans notre poëme rien de semblable : Pinabel lui-même ne manque pas d’une certaine grandeur, et Thierry nous apparaît moins comme le champion de Roland que comme celui de la Justice et de la Vérité.

« Le cinquième Tableau de notre drame épique s’ouvre d’une façon imposante. Sur le point d’engager la lutte, les deux champions « se confessent, reçoivent l’absolution, sont bénis par le prêtre, entendent la messe et y reçoivent la communion. » (Vers 3858 et suiv.) Puis, ceux qui tout à l’heure étaient humblement prosternés devant Dieu et qui avaient ouvert doucement leurs lèvres pour le recevoir,