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NOTES ET VARIANTES, VERS 7

poing droit dans cette formidable bataille ; il prolonge très-péniblement son existence jusqu’à l’arrivée de Baligant, son vengeur, et meurt de douleur en apprenant la défaite de l’Émir. L’auteur de notre vieux poëme nous le représente, d’ailleurs, comme un homme faible et une sorte de Louis le Débonnaire. ═ Mais sa légende a reçu ici de très nombreuses et très-importantes modifications. D’après la Chronique de Turpin (entre 1109 et 1119, à l’exception des cinq premiers chapitres), Marsire est frère de Baligant, et tous deux sont chargés par l’Émir de Babylone de résister aux chrétiens. Charles envoie Ganelon en ambassade près de Marsire, et le beau-père de Roland le trahit par cupidité et non par haine. (Cap. xxi, De proditione Ganelonis.) D’ailleurs, les Français méritent le châtiment qui va tomber sur eux : ils commettent d’infâmes débauches avec les Sarrazines que leur a données Marsire. Les païens les surprennent, et tous meurent, à l’exception de Roland, Turpin, Ganelon, Baudouin et Thierry. (Ibid.) En ce moment suprême, Roland se fait montrer le roi Marsire dans la mêlée et le va tuer.(Cap. xxii, De passione Rolandi et morte Marsirii.) Puis, il meurt. (Cap. xxiii, De sancta tuba et de confessione et transitu Rolandi.) ═ Les auteurs espagnols, mal inspirés par leur haine contre la France, ne craignent pas de faire contracter, par leur Bernard dei Carpio, une alliance honteuse avec le Sarrazin Marsile, pour perdre la France et faire mourir Roland. (Rodrigue de Tolède, mort en 1247, Chronica Hispaniæ, cap. x et xi. — Cronica general d’Alfonse X, 1252-1285 ; édition de 1604, f° 31-32.) ═ Les Romances espagnoles nous montrent, au contraire, le roi Marcim s’enfuyant sur un âne : « Je te renie, Mahomet, » s’écrie-t-il ; et il perd tout son sang. (Les Vieux Auteurs castillans, de Puymaigre, II, 325.) ═ Le Ruolandes Liet (vers 1150) suit, pour la légende de Marsile, la version de notre manuscrit d’Oxford, et il en est de même des Remaniements du Roland (xiiie s.), de la huitième branche de la Karlamagnus Saga (xiiie s.) et des deux fragments néerlandais de Loos, publiés par M. Bormans (xiiie-xive s.) ; tandis que Philippe Mouskes (vers le milieu du xiiie s.), les Chroniques de Saint-Denis, le Roland anglais du xiiie siècle, Girart d’Amiens (commencement du xive s.), les Reali (vers 1350) et les Conquestes de Charlemagne de David Aubert (xve s.), suivent de préférence la Chronique de Turpin, tout en faisant parfois certains emprunts à nos vieux poëmes. Car ce sont, là comme partout, les deux grands courants : notre Roland d’une part et le faux Turpin de l’autre. Et nous arrivons ainsi jusqu’en 1478, jusqu’à la Conqueste du grand Charlemaigne des Espaignes, où il ne faut voir, d’ailleurs, qu’une édition de notre Fierabras, et qui, dans ses deux derniers chapitres, renferme tout un abrégé de la Chronique de Turpin. C’est ce résumé que la