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NOTES ET VARIANTES, VERS 2095-2098

quatre vers qu’un certain Gilles « pourrait bien être l’auteur de la Chanson de Roland ». — Tout d’abord, et d’après le texte d’Oxford lui-même, il ne saurait être ici question du poëte qui composa notre vieille épopée, mais seulement d’une source historique à laquelle serait remonté l’auteur, le véritable auteur de la Chanson : Ço dist la geste e cil ki el camp fut — Li ber seinz Gilie... — Et, en effet, jaloux de conquérir une autorité historique, nos épiques renvoient souvent leurs lecteurs à la « Geste », c’est-à-dire à une Histoire en règle, à une Chronique officielle faite dans quelque couvent célèbre (à Laon, si la chanson est antique ; à Saint-Denis, si elle est plus moderne). Les exemples abondent. ═ Mais pourquoi, nous objectera-t-on, le poëte a-t-il fait choix ici du ber seinz Gilie ? C’est que saint Gilles a été mêlé d’une façon intime à la légende de Charlemagne. — L’époque réelle à laquelle a vécu ce saint, très-populaire en France, a été longtemps l’objet de contestations très-vives entre les savants. Les Bollandistes (tome XLI, p. 296) ont prouvé qu’il avait vécu sous Charles Martel. (Ils placent sa naissance en 640, et sa mort entre 720 et 725.) Mais, au moyen âge, la légende le fit longtemps vivre sous Charlemagne. D’après Adam de Saint-Victor (Prose Promat pia, vox cantoris) ; d’après les Séquences Quantum decet et Sicut passer (Mone, Hymni latini medii œvi, III, 165 et 167) ; d’après la Légende dorée, etc., « l’Empereur n’osait confesser à personne le plus grand de ses crimes (son inceste avec sa sœur Gilain) ; un parchemin miraculeux descendit du ciel, et saint Gilles y vit écrit en toutes lettres le péché de Charles. » Voilà ce que savait sans doute l’auteur de notre poëme. Et c’est à ce miracle qu’il fait peut-être allusion dans ces mots : Por qui Deus fait vertuz. (Saint Gilles, d’ailleurs, d’après tous les monuments liturgiques, était célèbre par ses miracles en faveur des malades et des marins en péril, etc., et la plus ancienne des proses qui lui soient consacrées dit de lui, au xie et xiie s. : Miraculorum coruscans virtutibus, Mone, l. I. 167 ; Adam de Saint-Victor, etc.) J’ajoute qu’ayant été mêlé, dans cet épisode, à l’histoire poétique du grand empereur, il le fut sans doute plus profondément. Le Stricker nous montre à Roncevaux « l’immaculé saint Gilles, qui depuis longtemps vivait solitaire dans une grotte de France ». Un poëme français de la décadence, Hugues Capet (p. 210 de l’édition du marquis de la Grange), nous parle d’un vieillard qui fu en Raincheval où Rolans fu perdu, et qui fit vœu de se faire ermite s’il échappait à cet immense désastre. Mais le document le plus précieux sur cette légende est la Keiser Karl Magnus’s Kronike. (Éd. de 1867, p. 130.) Parlant des prodiges qui annoncèrent la mort de Roland, l’auteur danois y mêle le témoignage de saint Gilles : « Le même jour il arriva un grand miracle chez les Franks. Il se fit aussi obscur que s’il avait été nuit. Le soleil