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NOTES ET VARIANTES, VERS 994

cuisse, large croupe, flancs allongés, haute échine, queue blanche, crinière jaune, petite oreille, tête fauve. » Dans Gui de Bourgogne existe un portrait analogue : Il ot le costé blanc comme cisne de mer, — Les jambes fors et roides, les piés plas et coupés, — La teste corte et megre et les eus alumés — Et petite oreillette, et mult large le nés. (Vers 2326, 2329.) ═ Les chevaux célébrés dans nos poëmes étaient des chevaux entiers. ═ Le chevalier se rappelait volontiers où et comment il avait conquis son bon cheval : Il le conquist es guez de suz Marsune, etc. (Vers 2994.) ═ Malgré son amour pour la bête, le chevalier ne lui ménage pas les coups d’éperon : Mult suvent l’esperonet. (Vers 2996.) Le cheval brochet. (Vers 3165, etc.) Ces mots reviennent mille fois dans notre poëme : ce sont peut-être les plus souvent employés. Et il l’éperonne jusqu’au sang : Li sancs en ist luz clers. (Vers 3165.) Avant la bataille, il lui laschet les resnes et fait son eslais (vers 2997, 3166), c’est-à-dire qu’il se livre à un « temps de galop ». Quelquefois, dans cet exercice, il fait sauter à son cheval un large fossé. C’est un petit carrousel. (Vers 3166.) ═ Le cheval de guerre s’appelle « destrier ». Le cheval de somme s’appelle sumier, palefreid (paraveredus), et l’on emploie aussi les mulets à cet usage : Laissent les muls et tuz les palefreiz. — Es destrers muntent. (Vers 1000, 1001. V. aussi les vers 755, 756.) ═ Notre vieux poëme nous parle plus d’une fois des étriers, mais sans nous en préciser la forme, et c’est ici que les monuments figurés viennent à notre aide. (V. les fig. 2, 3, 4, 7.) ═ Pour faire honneur à quelqu’un, et particulièrement au roi, on lui tient l’étrier : L’estreu li tindrent Naimes et Jocerans. (Vers 3113.) ═ Les selles étaient richement ornées gemmées à or (vers 1373), orées (vers 1605). La Chanson nous parle souvent des arçons, qui sont primitivement les deux arcs formant la charpente principale de la selle. (Vers 1229, etc.) Quant aux aubes de la selle, elles sont d’argent, quand elle est d’or. (Vers 1605) ═ Les détails nous manquent sur les freins, qui sont également dorés (vers 2491), et sur les sangles. (Vers 3573.) Les sceaux du xiie siècle nous sont ici d’un précieux secours.

═ Et maintenant, de tous ces passages de notre Chanson que nous avons soigneusement recueillis, pouvons-nous véritablement tirer quelques éléments de critique sur la date de cette œuvre célèbre ? Le défaut de tous les vers que nous avons cités plus haut, c’est leur vague, c’est leur manque de précision, et rien n’est d’ailleurs plus facile à comprendre dans un poëme. Ainsi, nous n’avons rien d’exact dans toute notre Chanson sur la longueur du haubert, et cette longueur est peut-être le principal criterium pour déterminer une date précise. Il est seulement certain que notre Roland est antérieur à l’époque du « grand haubert », au règne de Philippe-Auguste. Voilà qui n’avance guère le problème.