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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

De même, un peu plus loin, il ne peut tolérer, en cette même strophe, les deux vers suivants : Li reis Marsilies la tient ki Dieu n’enaimet, — Mahumet sert e Apolin recleimet[1]. Tout cela est à changer. Allons, vite, deux rimes en aigne. Les voici : Là est Marsille qui la loi Dieu n’endaigne. — Mahomet sert, mot fait folle gaaigne[2]. « Peuh ! direz-vous, que c’est chevillé, que c’est plat ! » Il est vrai ; mais les rimes sont si riches !

Que d’exemples nous pourrions citer[3] ! Presque toujours

  1. Oxford, v, 7, 8.
  2. Versailles, v, 8 et 9.
  3. Au lieu de : Ne ben ne mal ne respunt sun nevuld (Oxf. v, 216), Versailles porte : Toz coiz se tint, ne dist ne o ne non. (v. 257). ═ Au lieu de : De cez paroles que vos avez ci dit, — En quel mesure en purrai estre fiz (v. 145-146), on lit dans le même remaniement : De ceste couse que il mandée m’a — Com faitement m’en asicurera (v. 171, 172). ═ Au lieu de Là siet li Reis ki dulce France tient (v. 116), le même texte rajeuni nous offre : S’asist li reis qui France a à bailler (v. 132). ═ Tandis que la version d’Oxford nous donne : Meillor vassal n’aveit en la curt nul (231), l’auteur du refazimento de Versailles est contraint par sa rime en uz de reconstruire ce vers tout autrement : Mieudres vassaus ne fu en cort veüz (v. 272). ═ De même, pour le vers 229 du texte de la Bodléienne : Laissum les fols, as sages nus tenuns, qui a été modifié ainsi qu’il suit : Laist on le fou, aus sages se teigne on (v. 269 du ms. de Versailles). ═ On comparera au même titre les vers suivants de la version primitive : En la citet n’en est remés paien — Ne seit ocis u devient chrestien (v. 101, 102) et ceux-ci de la version remaniée : Les Sarrasins a fait toz detrencher, — S’il ne vost croire et faire baptiser (Versailles, 117, 118). ═ Le même besoin absolu, la même nécessité de changer les assonances en rimes, a motivé les changements suivants : As quatre esturs lor est avenut ben ; — Li quint après lor est pesant e gref (Oxf., v, 1,686, 1,687). Ces vers reçoivent une autre forme dans le texte de Versailles : A quatre estors se puent bien aider ; — Li quins après fut mot à redoter. ═ Au lieu de : L’Emperere en tent ses mains vers Deu (Oxf., 137), on lit, dans le même manuscrit que nous prenons pour type : Ot le li rois, soi prist à merveiller (v. 165). ═ Au lieu de : E as eschecs li plus saive e li veill (Oxf., 112), le rajeunisseur a écrit : Et auquant d’els joent à l’escachier (v. 128) ; et, au lieu de : Car m’eslisez un barun de ma marche (v. 275), il a, à cause de la rime en age, imaginé le vers suivant qui est certainement plus plat : Ensegniez moi un home de bernage (v. 326) etc., etc. ═ Nous avons cité dans nos Épopées françaises (I, p. 290, 291) une foule d’autres exemples tirés du Roland. Nous tenons à répéter que ces modifications vers par vers sont toutes nécessitées par les besoins de la rime.