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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

Mais à quelle époque vivait-il ?

Voici qu’il nous parle quelque part de « Chanoines réguliers vêtus de blanc[1] ». Or ces Chanoines, comme l’a observé l’abbé Lebeuf, n’existaient pas avant la fin du xie siècle. Précisons davantage. — Certaines dissertations sur la Trinité, très-verbeuses et fort déplacées dans une Chronique, ne se comprennent pas si on ne les rapporte aux erreurs de Roscelin[2]. Or, ces erreurs furent condamnées en 1092. Donc, l’auteur serait un Français qui appartiendrait tout au moins aux dernières années du xie siècle. C’est encore bien vague.

Le Chapitre xxx va peut-être nous éclairer plus vivement. Nous y lisons que Turpin vint à Vienne se reposer des blessures qu’il avait reçues en Espagne. À Vienne ? C’est étrange. Et le second Supplément (de la même main que les derniers chapitres) ajoute que Turpin fut enseveli dans la même ville : « Quelques-uns de nos clercs lui donnèrent une sépulture glorieuse. Quidam ex clericis nostris. » C’est clair : l’auteur était un Viennois. Il est possible qu’il ait été moine de Saint-André ; mais il nous semble que ce dernier fait n’est pas encore entouré de ses preuves, et que M. G. Paris a trop aisément accepté le témoignage de G. Alard.

Or, le siége de Vienne, au commencement du xiie siècle, était occupé par un évêque de grand mérite, Gui de Bourgogne, qui devait plus tard être élu pape et régner sous le nom de Callixte II. Gui (notez ce fait capital) était frère de Raimond, comte de Galice et fit lui-même un pèlerinage à Compostelle[3]. Voici, voici que nous approchons de la vérité. Donc, Gui de Bourgogne,

  1. Cap. xiii : Quosdam, canonicali habitu albo indutos. Et, plus loin (cap. xxix), il s’agit de l’église de Blaye, où Charles… canonicos regulares intromiserat.
  2. Chap. xvii. On les retrouve dans l’Entrée en Espagne, sous une forme plus populaire.
  3. Le fameux chapitre sur saint Jacques (c’est le xixe), qui fait disparate dans l’œuvre de notre second auteur, mais qui est d’une doctrine absolument conforme à celle de l’Historia Compostellana, fut probablement remis tout fait à notre Viennois par les moines de Compostelle. Toutefois, ce n’est qu’une hypothèse.