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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

France et d’Allemagne ont longuement discutés. Nous allons préciser l’état actuel de la science.

Dans une Dissertation antérieure[1] nous avons essayé de déterminer, d’après ses éléments intrinsèques, la date du faux Turpin… Le mot Lotharingia qui s’y rencontre nous atteste que la Chronique est postérieure à 855 et même à 901. C’est bien ; mais il faut aller plus loin. Flodoard, qui est l’auteur bien connu d’une Histoire de l’Église de Reims, ne connaît pas notre récit apocryphe : donc, ce récit est au moins postérieur à l’année 966, qui est celle où Flodoard mourut : et nous voici déjà à la fin du xie siècle. C’est bien, c’est mieux ; mais descendons

    les derrières de notre armée ; mais les nôtres revinrent à la charge contre les Sarrazins, et, après un assaut qui dura depuis le matin jusqu’à tierce, les tuèrent tous. Pas un de ces vingt mille païens n’échappa. Comme les nôtres étaient las et épuisés d’une telle bataille, ils furent, sans avoir eu le temps de respirer, attaqués par trente mille autres Sarrazins qui les frappèrent depuis le plus vieux jusqu’au plus jeune. Des vingt mille chrétiens, il n’en resta pas un. Les uns furent frappés par les lances païennes ; les autres périrent sous l’épieu, les autres eurent la tête coupée par l’épée, d’autres furent tranchés par la hache, d’autres percés par les dards et les flèches, d’autres écorchés vifs par les couteaux, d’autres brûlés par le feu, d’autres enfin pendus aux arbres. Là périrent tous les poignéors, tous les chevaliers, à l’exception de Roland, de Baudouin, de Turpin, de Thierry et de Ganelon. Baudouin et Thierry, s’étant cachés dans les bois, parvinrent à s’échapper. Les Sarrazins alors se retirèrent une lieue plus loin. ═ Nota. On peut ici se demander pourquoi Dieu permit la mort de ceux-là mêmes qui ne s’étaient pas rendus coupables d’impureté avec les femmes. S’il ne leur accorda pas de revoir leur patrie, c’est qu’il ne voulait pas qu’ils y commissent de plus grands péchés. Et, en raison de tous leurs mérites et labeurs passés, il leur donna, par le martyre, la couronne du céleste Royaume. Quant à ceux qui avaient été impurs, il permit leur mort pour effacer leur péché dans le sang répandu, dans le martyre. Ce ne sont pas leurs mérites que le Dieu très-clément a voulu récompenser ; mais enfin ils ont confessé son Nom avant de mourir ; mais ils ont fait l’aveu de leurs fautes ; mais, malgré leurs impuretés, ils sont morts pour Jésus-Christ. Ce fait nous montre aussi jusqu’à l’évidence combien la compagnie des femmes est funeste à ceux qui marchent aux combats. Quelques princes de ce monde, Darius et Antoine, ont été à la guerre accompagnés de leurs femmes : ils ont succombé tous les deux, l’un sous les coups d’Alexandre, l’autre sous ceux d’Octavien-Auguste…

  1. Cette Dissertation, que nous allons résumer très-exactement, est dans nos Épopées françaises, au t. I, pp. 68-89.