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INTRODUCTION

À quelle époque a été écrit ce livre malsain et sans beauté ? Quel en est l’auteur, et dans quelles circonstances a-t-il été composé ? Ce sont des problèmes ardus, et que les érudits de

    littéraires où la légende de Roland tient une place importante. On pourra comparer à la première et à la seconde partie de notre Chanson le chapitre suivant du « faux Turpin » qui est le xxie et dont nous allons offrir à notre lecteur une traduction nouvelle. Le titre de ce chapitre est le suivant : « De proditione Ganalonis et de bello Runciævallis et de passione pugnatorum Christi. » En ce temps-là, après que Charles le Grand eut conquis toute l’Espagne pour la plus grande gloire de Dieu et le plus grand honneur de saint Jacques, il passa par l’Espagne et y séjourna avec ses armées. Or, il y avait alors à Saragosse deux rois sarrazins, l’un nommé Marsire et l’autre Beligand : ils étaient frères et avaient été envoyés en Espagne par l’Émir de Babylone en Perse. Ces deux rois avaient fait leur soumission à Charles et lui obéissaient volontiers en toutes choses ; mais c’était de l’hypocrisie. Le Roi des Franks leur manda par Ganelon qu’ils eussent à recevoir le baptême, ou à lui faire passer leur tribut. Ils lui envoyèrent trente chevaux chargés d’or, d’argent et de toutes les richesses de l’Espagne, quarante autres sommiers chargés d’un vin très-doux et très-pur, lequel était destiné aux chevaliers, avec mille belles Sarrazines. Pour Ganelon, il en reçut, pour leur livrer les chevaliers français, vingt chevaux chargés d’or, d’argent et de soie. Il fit avec eux ce marché et accepta cet argent. Et c’est après avoir bel et bien conclu ce pacte infâme avec eux que Ganelon revint vers Charles. Il lui remit les richesses que les deux rois de Saragosse avaient envoyées à l’Empereur : « Marsire, lui dit-il, veut devenir chrétien et se dispose à venir vous trouver en France pour y recevoir le baptême et pour tenir de vous toute l’Espagne en fief. » Les vieux chevaliers n’acceptèrent qu’un seul de ces dons et ne touchèrent point aux Sarrazines. Cependant Charles, plein de confiance dans les paroles de Ganelon, s’apprêtait à passer les défilés, les « ports » de Sizer, et à revenir en France. Il prit alors conseil de Ganelon et ordonna sur ce, à ceux qu’il aimait le plus, à Roland, son neveu, comte de Blaives et du Maine et à Olivier, comte de Gennes, de former à Roncevaux l’Arrière-garde de l’armée avec les vieux chevaliers et vingt mille chrétiens, jusqu’à ce que lui, Charles, eût passé les ports de Sizer avec le reste de l’armée. C’est ce qui fut fait. Mais les nuits précédentes, un certain nombre de Français s’étaient enivrés de vin sarrazin et s’étaient rendus coupables de fornication avec les païennes, voire même avec des chrétiennes venues de France. C’est par là qu’ils méritèrent la mort. Que dirais-je de plus ? Tandis que Charles passait les défilés avec vingt mille chrétiens, avec Turpin et Ganelon ; tandis que les autres faisaient l’arrière-garde, Marsire et Beligand, avec cinquante mille Sarrazins, sortirent au petit jour des bois et des montagnes, où, d’après le conseil de Ganelon, ils s’étaient cachés pendant deux jours et deux nuits. Là, ils se divisèrent en deux troupes. Un premier corps de vingt mille païens se jeta sur