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INTRODUCTION

lumière, mais aussi des phases d’ingratitude et d’oubli. C’est ce qui est arrivé à la Chanson de Roland, qui, tour à tour, a été l’objet d’une popularité légitime et d’un dédain immérité. Nous raconterons sa mauvaise comme sa bonne fortune. Ces pages consacrées à notre gloire, nous les écrivons au milieu des malheurs de la Patrie. Puissent les beaux vers de ce Chant national consoler ceux qui pleurent aujourd’hui sur leur pays ; puisse ce récit du passé nous rendre la confiance en l’avenir !


I. — le germe


« Roland, préfet de la Marche de Bretagne, mourut dans ce combat[1] : » voilà tout ce que nous apprend l’Histoire sur l’un des héros dont la gloire a été le plus œcuménique. Peu de contrées ont été sans entendre le nom de Roland. Une Épopée tout entière, une véritable Épopée nationale lui doit son existence et sa beauté ; les plus grands poëtes s’en sont inspirés ; le peuple, — honneur plus rare encore, — le vrai peuple a conservé obstinément jusqu’à nos jours la mémoire de Roland, et, à l’heure même où nous écrivons ces lignes, quelque paysan sans doute lit en pleurant, dans Galien le Restauré ou dans les Conquestes du grand Charlemagne, le récit défiguré, mais encore héroïque, de sa mort à Roncevaux. Il n’est peut-être pas de popularité comparable à cette popularité. Et si vous me demandez d’où tant de gloire a pu sortir, je vous répèterai ces huit mots d’Éginhard : In quo prœlio Hruodlandus, limitis Britannici prœfectus, interficitur. Voilà pourtant ce que c’est que de bien mourir ! Ce préfet de la Marche de Bretagne n’a fait que son devoir quand, au fond de je ne sais quel vallon obscur, il résista vaillamment à la perfidie des Gascons. Mais c’est ainsi que Dieu récompense souvent le simple accomplisse-

  1. Vita Karoli, ix.