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INTRODUCTION

lâche. Ramenez-moi au XIe siècle, ramenez-moi à ma vieille Épopée française. « C’est l’air âpre et pur des sommets ; il est rude d’y monter, mais on se sent grandi quand on y est[1]. »

Un des traducteurs du Roland[2] a dit excellemment : « Ce qui fait la grandeur de la Grèce, ce n’est pas d’avoir produit Homère, mais d’avoir pu concevoir Achille. » Il en faut dire autant de la France : ce qui fait sa grandeur, ce n’est pas d’avoir produit notre vieux poëme, mais d’avoir pu concevoir Roland. Une telle conception console de tout, même de la défaite… parce qu’elle fait espérer la victoire.


XI. — du premier outrage que reçut la légende de roland
la chronique de Turpin


« Le mieux est l’ennemi du bien. » C’est un adage que l’on peut appliquer fort exactement à l’œuvre singulière dont nous

  1. Ces derniers mots sont tirés d’une très-remarquable appréciation littéraire de la Chanson de Roland, par M. Gaston Paris, (Histoire poétique de Charlemagne, p. 18-25.) « Les héros du Roland n’ont guère d’autres rapports que ceux qu’engendrent les institutions féodales. Les sentiments généraux de l’humanité apparaissent à peine. Tout est spécial, marqué au coin d’une civilisation transitoire, et même d’une classe déterminée : celle des hommes d’armes. Leur existence, bornée à trois ou quatre points de vue restreints, leurs passions simples et intenses, leur incapacité de sortir d’un horizon assez factice, la naïveté de leurs idées, la logique obstinée de leurs convictions, se peignent à merveille dans le poëme, où la profondeur des sentiments n’a d’égale que leur étroitesse. La vie manque partout ; les lignes sont hautes, droites et sèches ; les mouvements sont roides, l’inspiration uniforme (Ibid., p. 18). » Nous ne sommes pas aussi sévère que M. G. Paris.
  2. M. d’Avril, la Chanson de Roland, 1re éd., Introduction, p. xxxvii. Et l’écrivain ajoute avec une rare élévation : « Préférons Rama à Valmiki, saint Louis à Joinville, Siegfried à l’évêque de Passau, et mettons Roland au-dessus de son trouvère du XIIe siècle comme Achille au-dessus de son Homère… Si l’on était ramené à reconnaître que notre Épopée nationale est inférieure par quelque côté à celle d’un autre peuple au point de vue de l’art, il n’y aurait rien à en conclure contre la véritable grandeur de nos ancêtres. Ce ne serait qu’un accident artistique. » (Ibid., p. xxxviii.)