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INTRODUCTION

apportés et mis dans ce dépôt par l’abbé Théroulde, comme son œuvre ou plutôt celle de son père, le précepteur de Guillaume le Conquérant[1] ? » C’est là tout au plus une présomption : ce n’est pas une preuve.

Nous ferons tout d’abord observer que M. Génin a peut-être mal compris le dernier vers de notre poëme, et nous le remettons à dessein sous les yeux de notre lecteur : Ci falt la geste que Turoldus declinet. Quatre fois seulement[2], dans la Chanson, notre poëte parle de « la geste, » et il en parle toujours comme d’un document historique qu’il a consulté et dont il invoque le témoignage en même temps que celui des chartes et des brefs. Qu’était-ce donc que cette « Geste », qui est plus explicitement appelée par notre poëte « geste Francor » ? C’était sans doute une plus ancienne Chanson ; c’était peut-être une Chronique, plus ou moins traditionnelle et écrite, comme le fragment de la Haye, d’après un poëme antérieur. Toujours est-il qu’on la met sur le compte d’un nommé Turoldus. C’est de cette geste enfin, et non pas de notre poëme, que Turoldus serait l’auteur. Notre poëte, ayant terminé sa chanson d’une manière un peu brusque, veut s’en expliquer auprès de ses lecteurs : « C’est ici, dit-il, que me fait défaut[3] la geste de Turoldus, cette geste dont je me servais. » Voilà une explication nouvelle de ce vers tant discuté, et nous la croyons digne de quelque attention.

Mais, même en admettant que ce mot « geste » s’applique à notre poëme, que de doutes, que de ténèbres encore ! Cet autre mot : declinet, est malheureusement des plus obscurs. Oui (comme nous l’avons dit ailleurs)[4], « declinet[5] signifie : quitter, aban-

  1. La Chanson de Roland, poëme de Théroulde, Introduction, p. lxxxiv.
  2. A. Vers 1,684, 1,685 : « Il est escrit es cartres e es brefs, — Ço dist la geste, plus de iiii. millers. » — B. Vers 2,096 : « Ço dist la geste, e cil qui el camp fut, — Li ber (seinz) Gilie… » — C. Vers 3,742-3743 : « Il est écrit dans l’anciene geste — Que Carles mandet humes de plusurs teres. » — D. Vers 3,262 : « Geste Francor xxx. escheles i numbrent. »
  3. Tel est le sens littéral de falt qui, en un sens plus large, est traduit par « finit ».
  4. Épopées françaises, t. II, p. 391.
  5. V. Forcellini ; Raynouard, au mot clin ; Ducange, etc.