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INTRODUCTION

me demander ce que tu es devenu. » Faut-il croire que ces deux couplets ont eu tour à tour leur raison d’être, et qu’ils appartiennent à deux rédactions primitives, l’une du ixe siècle, l’autre du xie ? Faut-il croire que l’un se rapporte, par ses origines, au temps où le siége de l’empire franck était à Aix, et l’autre à l’époque où les premiers Capétiens végétaient à Laon ? Que d’invraisemblances ! Et n’y a-t-il pas une explication cent fois plus naturelle ? Dans ce passage de notre poëme, Charles pense à son retour en France ; il passera d’abord à Laon avant d’arriver à Aix, et, dans ces deux villes, on viendra successivement s’informer auprès de lui de Roland, son neveu, qui est mort. Voilà qui est simple et vrai. Il n’est pas, du reste, une seule de ces quatre ou cinq laisses qui ne complète l’autre par l’introduction de quelque fait nouveau, de quelque nouvelle idée. Donc, ce ne sont là ni des rédactions différentes, ni des variantes à l’usage des jongleurs qui voulaient plus ou moins improviser ou paraître improviser. Non, non ; ce sont des morceaux qui se complètent ; c’est surtout l’œuvre d’un art naïf et populaire. On peut le jurer par l’émotion que l’on ressent à la lecture de ces couplets si littérairement, si utilement répétés.

Voici encore une difficulté, et c’est la dernière que nous rencontrerons dans ce petit « Traité de la versification française… au xie siècle ».

Le plus grand nombre des couplets du Roland se terminent, dans le manuscrit d’Oxford, par ces trois lettres, aoi, qui ont grandement exercé la patience des érudits. M. F. Michel, dans sa première édition de la Chanson, rapproche aoi de ce mot, euouae, qui se trouve, assure-t-il, « dans une sorte de poëme sur sainte Mildred, mis en musique[1] ». Hélas ! hélas ! sans aller aussi loin, M. Michel aurait pu trouver ce fameux euouae dans son Paroissien noté et dans tous les antiphonaires du monde entier. Il signifie seculorum amen, et non pas Évohe,

  1. La Chanson de Roland, 1re édition, p. 314. — Dans sa 2e édition, à la page xxvii, M. F. Michel rectifie lui-même son erreur.