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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

rime avec l’assonance. La rime, qui est un raffinement, atteint toute la dernière syllabe ; l’assonance, qui est un procédé primitif, n’atteint que la dernière voyelle. Dans un poëme rimé, le mot corage, à la fin d’un vers, exige à la fin des vers suivants des mots tels que vasselage, bernage, gage, eritage, otrage ; mais dans le Roland et dans toutes nos anciennes Chansons qui sont assonancées, corage s’accorde parfaitement avec halte, atarget, altre, Charles, Calabre, salse, marche et vaillet. Disons tout en deux mots : « La rime est pour l’œil, l’assonance pour l’oreille. » Tant que nos vieux poëmes furent écoutés, l’assonance leur suffit. Dès qu’ils furent lus, la rime fut nécessaire.

L’assonance existe encore aujourd’hui, mais seulement dans les Chants populaires… Approchez-vous de ce descendant des jongleurs qui s’est installé sur la place publique ; écoutez les vers qu’il chante en s’accompagnant de son maigre violon. C’est le « Cantique spirituel sur la vie et la pénitence de saint Alexis ». Nous y trouvons exactement, — après sept ou huit cents ans écoulés, — les mêmes assonances que dans la Chanson de Roland :

J’ai un voyage à faire
Aux pays étrangers.
Il faut que je m’en aille,
Dieu me l’a comman.
Tenez : voilà ma bague,
Ma ceinture à deux tours,
Marque de mon amour.

Et ailleurs, dans le même chant, épousailles rime avec flamme ; courage avec larmes ; richesses avec cachette ; embarque avec orage ; dépêche avec cherchent et avec connaître. Voilà ce qui se chante encore aujourd’hui devant des gens qui ne savent point lire et auxquels ces assonances naïves causent tout autant de plaisir que les rimes les plus luxuriantes de M. Victor Hugo et de toute l’école romantique. Tels étaient, soyez-en certains, les auditeurs de la Chanson de Roland.

Les laisses ainsi assonancées sont « masculines » ou « féminines », suivant qu’elles se composent ou non de vers terminés