Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
LA CHANSON DE ROLAND

Et cent mille Français en ont si grande douleur,
Qu’il n’en est pas un qui ne pleure à chaudes larmes.


CCX


« Ami Roland, je vais retourner en France ;
« Et quand je serai dans ma ville de Laon,
« Des étrangers viendront de plusieurs royaumes
« Me demander : « Où est le Capitaine ? »
« Et je leur répondrai : « Il est mort en Espagne. »
« En grande douleur je tiendrai désormais mon royaume ;
« Il ne sera point de jour que je n’en gémisse et n’en pleure !


CCXI


« Ami Roland, vaillant homme, belle jeunesse,
« Quand je serai à ma chapelle d’Aix,
« Des hommes viendront, qui me demanderont de tes nouvelles ;
« Celles que je leur donnerai seront des plus pénibles et cruelles :
« Il est mort, mon cher neveu, celui qui m’a conquis tant de terres. »
« Et voilà que les Saxons vont se révolter contre moi,
« Les Hongrois, les Bulgares, et tant d’autres peuples,
« Les Romains avec ceux de la Pouille et de la Sicile,
« Ceux d’Afrique et de Califerne.
« Mes souffrances et mes douleurs augmenteront de jour en jour.
« Et qui pourrait conduire mon armée avec une telle puissance,
« Quand il est mort, celui qui toujours était à notre tête ?
« Ah ! douce France, te voilà orpheline !
« J’ai si grand deuil, que j’aimerais ne pas être. »
Et alors il se prend à tirer sa barbe blanche,
De ses deux mains arrache les cheveux de sa tête :
Cent mille Francs tombent à terre, pâmés.