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LA CHANSON DE ROLAND

« Prenez-moi à bras, et redressez-moi. »
De sa main gauche, alors, il prend un de ses gants,
Et : « Seigneur émir, dit-il,
« Je vous remets ici toute ma terre ;
« Je vous donne Saragosse et tout le fief qui en dépend.
« Ah ! je me suis perdu, et j’ai perdu tout mon peuple !
« — Ma douleur en est grande, répond l’Émir ;
« Mais je ne saurais parler plus longtemps avec vous ;
« Car Charles, je le sais, ne m’attendra point.
« Cependant je reçois le gant que vous m’offrez. »
Et, tout en larmes à cause de son grand deuil, il sort de la chambre.


CCIV


Baligant descend les degrés du palais,
Monte à cheval, éperonne vers son armée,
Et si bien chevauche, qu’il arrive sur le front de ses troupes.
Alors il va de l’un à l’autre, en s’écriant :
« En avant, païens, en avant : les Français vont nous échapper... »


CCV


Dès la première blancheur de l’aube, au petit matin,
S’est éveillé l’empereur Charlemagne.
Saint Gabriel, à qui Dieu l’a confié,
Lève la main et fait sur lui le signe sacré.
Alors le Roi se lève, laisse là ses armes,
Et tous ses chevaliers se désarment aussi.
Puis montent à cheval, et rapidement chevauchent
Par ces larges routes, par ces longs chemins.
Et où vont-ils ainsi ? Ils vont voir le grand désastre :
Ils vont à Roncevaux, là où fut la bataille.