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LA CHANSON DE ROLAND


CXC


L’empereur Charles, par sa grande puissance,
Était demeuré sept années entières en Espagne ;
Il y avait pris châteaux et cités…
Le roi Marsile en avait eu grand souci,
Et, dès la première année, avait fait sceller ses lettres.
Il y réclamait du secours de Baligant, qui était à Babylone en Égypte.
C’était l’Émir, le vieil Émir,
Survivant à Virgile et à Homère.
Marsile avait demandé à ce vrai baron d’aller le secourir à Saragosse.
« Si Baligant n’y consentait, Marsile quitterait ses dieux,
Renoncerait à toutes les idoles qu’il adore,
Recevrait la sainte loi du Christ,
Et ferait sa paix avec Charlemagne. »
Or Baligant est loin, et il avait longtemps tardé.
Il avait convoqué le peuple de ses quarante royaumes,
Avait fait apprêter ses grands dromonds,
Barques, esquifs, galères et vaisseaux de toute sorte.
À Alexandrie, qui est un port de mer,
Il avait enfin rassemblé toute sa flotte…
C’était en mai, au premier jour d’été.
Il a lancé sur mer toute son armée…


CXCI


Elle est grande, l’armée de la gent païenne !
Et voilà cette flotte qui cingle rapidement, navigue et se gouverne…
Au haut des mâts, au haut des hautes vergues,
Il y a lanternes et escarboucles
Qui, de là-haut, projettent telle lumière
Que, pendant la nuit, la mer paraît plus belle encore.