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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

des assonances. Il pensait visiblement à autre chose : cette besogne ne devait pas lui être bien payée. Le manuscrit, d’ailleurs, n’a pas été favorisé. Après le scribe, un correcteur est venu, qui a changé quelques termes trop archaïques, réparé quelques omissions, rectifié la mesure de quelques vers, complété ou ajouté quelques mots, effacé ou gratté çà et là quelques lettres superflues. Ses additions (qui sont placées soit en interligne, soit en marge), ses suppressions et ses corrections sont généralement sans critique et sans valeur. Peut-être faut-il y voir l’œuvre d’un jongleur qui voulait un peu rajeunir son texte vieilli. Quel que soit le correcteur, il est digne du scribe.

Et tel est le célèbre manuscrit conservé à la bibliothèque Bodléienne d’Oxford[1]. Quelle que soit sa valeur, il n’est pas, comme on le voit, tel encore que nous le voudrions. Mais nous avons par bonheur quelque moyen d’en combler les lacunes et d’en corriger les erreurs.

Une rédaction antique de la Chanson de Roland nous est offerte par un très-précieux manuscrit de Venise[2]. C’est bien là

  1. Digby, 23. — Autrefois, 1624 de la Bodléienne, et telle est la cote que donne Tyrwhitt dans les Canterbury’s tales of Chaucer.
  2. Il existe à la Bibliothèque de Saint-Marc, à Venise, deux Roland manuscrits. Le plus ancien, celui dont il est ici question, porte le no  iv parmi les Manuscrits français. C’est un beau manuscrit du XIIIe siècle, à deux colonnes, avec rubriques, qui, suivant nous, a dû être exécuté vers 1230-1240. Il contient tout d’abord une copie fort italianisée d’Aspremont. Au fo 69 commence Roland, qui renferme 6,000 vers et se termine au fo 98. L’épisode de Narbonne commence au fo 88 : Carlo civalça à la barba florie ; — Guarda su dextra, oit Narbona scosie, etc. M. Hoffmann a publié le texte de Venise en regard de celui d’Oxford dans sa nouvelle édition dont il ne circule encore que trois exemplaires. Nous allons, — pour donner une idée de la langue de ce manuscrit et des ressources que cette rédaction peut offrir aux éditeurs du vieux poëme, — en citer un fragment qui comble une des lacunes du texte de la Bodléienne (vers 1679) :

    .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   
    Fellon païn orge fer de lor lance
    In quit escuz, in li elme ke reflambe :
    Fer et acer li rend tel consonance,
    Incontra cel ne vola fago et flambe.
    Sangue et cervelle ki doncha vedes spander !
    Li cont Rollant si n’a dol e pesance,