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LA CHANSON DE ROLAND


CLXXXVII


Après ce songe, Charles en a un autre
Il rêve qu’il est en France, à Aix, sur un perron,
Tenant un ours dans une double chaîne.
Soudain, de la forêt d’Ardenne, il voit venir trente autres ours,
Qui parlent chacun comme un homme :
« Rendez-nous-le, Sire, disent-ils ;
« Il n’est pas juste que vous le reteniez plus longtemps.
« C’est notre parent, et nous devons le secourir. »
Mais alors, du fond du palais, accourt un beau lévrier
Qui, parmi ces bêtes sauvages, attaque la plus grande,
Sur l’herbe verte, près de ses compagnons.
Ah ! c’est une merveilleuse lutte à laquelle assiste le Roi ;
Mais quel est le vainqueur, quel est le vaincu ? Charles n’en sait rien...
Voilà ce que l’Ange de Dieu a montré au baron ;
Et Charles reste endormi jusqu’au lendemain, au clair jour...


CLXXXVIII


Le roi Marsile cependant arrive en fuyant à Saragosse.
Il descend de cheval et s’arrête à l’ombre, sous un olivier ;
Il rend à ses serviteurs son épée, son heaume et son haubert,
Puis, très-piteusement, se couche sur l’herbe verte.
Il a perdu sa main droite,
Le sang en sort, et Marsile tombe en angoisse et en pâmoison.
Voici devant lui sa femme Bramimonde,
Qui pleure, crie et très-douloureusement se lamente.
Plus de vingt mille hommes sont avec elle ;
Tous maudissent Charles et maudissent la douce France.
Apollon, leur dieu, est là dans une grotte : ils se jettent sur lui,
Lui font mille reproches, mille outrages :