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LA CHANSON DE ROLAND


CLXXXVI


Comme un homme travaillé par la douleur, Charles s’est endormi.
Alors Dieu lui envoie saint Gabriel,
Auquel il confie la garde de l’Empereur.
L’Ange passe toute la nuit au chevet du Roi,
Et, dans un songe, lui annonce
Une grande bataille qui sera livrée aux Français...
Puis il lui a montré le sens très-grave de cette vision.
Charles donc, jetant un regard là-haut, dans le ciel,
Y vit les tonnerres, les gelées, les vents,
Les orages, les effroyables tempêtes,
Les feux et les flammes toutes prêtes :
Et soudain tout cela tombe sur son armée.
Voici qu’elles prennent feu, les lances de pommier ou de frêne ;
Voici qu’ils s’embrasent, les écus aux boucles d’or pur ;
Quant au bois des épieux tranchants, il est en pièces.
Les hauberts et les heaumes d’acier grincent et gémissent.
Quelle douleur pour les chevaliers de Charles !
Des ours, des léopards se jettent sur eux pour les dévorer,
Avec des guivres, des serpents, des dragons, des monstres semblables aux Diables,
Et plus de trente mille griffons.
Tous, tous se précipitent sur les Français :
« À l’aide, Charles, à l’aide ! » s’écrient-ils.
Le Roi en a grande douleur et pitié ;
Il y voudrait aller ; mais voici l’obstacle :
Du fond d’une forêt un grand lion s’élance sur lui.
La bête est orgueilleuse, féroce, épouvantable,
Et c’est au corps du Roi qu’elle s’attaque.
Tous les deux pour lutter se prennent à bras le corps.
Quel est le vainqueur, quel est le vaincu ? On ne le sait.
L’Empereur ne se réveille pas...