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INTRODUCTION

pensons, d’accord cette fois avec M. P. Meyer[1], qu’il y a là quelque exagération. D’après certains vers de notre vieux poëme, nous admettrons volontiers qu’avant la Chanson de Roland on ait pu écrire une Prise de Pampelune, une Prise de Nobles et, peut-être même, un autre Roland. Nous sommes surtout persuadé, d’après un texte célèbre d’Orderic Vital, qu’il existait déjà plusieurs branches de la geste de Guillaume et, d’après une ligne souvent citée de la chronique de Turpin[2], qu’Ogier le Danois était le héros d’un ou de plusieurs poëmes. Mais il nous est scientifiquement interdit de risquer d’autres hypothèses. Vienne le jour où quelque érudit trouvera, dans la poussière d’une bibliothèque d’Espagne ou d’Italie, le texte vingt fois précieux d’une de ces Chansons perdues !

Plaçons sous nos yeux, pour nous consoler, la Chanson attribuée à Theroulde. Déterminons le caractère de cette œuvre. Elle ressemble sans doute à toutes celles du même temps que nous ne possédons plus, et nous ferons par elle connaissance avec toutes les autres...

Le manuscrit qui nous l’a conservée est un de ces petits volumes à l’usage des jongleurs, qu’ils portaient avec eux sur tous les chemins et où sans doute ils rafraîchissaient leur mémoire. Nous ne pensons pas qu’il ait été écrit avant la seconde moitié du XIIe siècle, et nous en placerions l’exécution vers les années 1150-1160[3]. Il est l’œuvre d’un scribe fort médiocre sujet à de trop nombreuses distractions, et qui, sans doute, a fort inexactement copié un excellent original. Il a omis plus d’une fois des laisses ou des couplets tout entiers que nous essaierons plus loin de reconstruire. Grâce à sa négligence, un grand nombre de vers sont boiteux, et il nous faudra aussi les remettre fortement sur leurs pieds. Enfin il a interverti l’ordre de quelques strophes, et n’a quelquefois tenu aucun compte de l’exactitude

  1. Bibliothèque de l’École des Chartes, 27e année, p. 39.
  2. « De hoc vulgo canitur quia innumera fecit mirabilia. »
  3. V. le fac-simile ci-contre. — Cf. le fac-simile lithographié de la première édition du Roland, par F. Michel. On aura ainsi la reproduction exacte de deux pages du manuscrit original.