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LA CHANSON DE ROLAND

Devant lui est une roche brune ;
Par grande douleur et colère, il y assène dix forts coups ;
L’acier de Durendal grince : point ne se rompt, ni ne s’ébrèche :
« Ah ! sainte Marie, venez à mon aide, dit le comte.
« Ô ma bonne Durendal, quel malheur !
« Me voici en triste état, et je ne puis plus vous défendre ;
« Avec vous j’ai tant gagné de batailles !
« J’ai tant conquis de vastes royaumes
« Que tient aujourd’hui Charles à la barbe chenue !
« Ne vous ait pas qui fuie devant un autre !
« Car vous avez été longtemps au poing d’un brave,
« Tel qu’il n’y en aura jamais en France, la terre libre. »


CLXXIII


Roland frappe une seconde fois au perron de sardoine ;
L’acier grince : il ne rompt pas, il ne s’ébrèche point.
Quand le comte s’aperçoit qu’il ne peut briser son épée,
En dedans de lui-même il commence à la plaindre :
« Ô ma Durendal, comme tu es claire et blanche !
« Comme tu luis et flamboies au soleil !
« Je m’en souviens : Charles était aux vallons de Maurienne,
« Quand Dieu, du haut du ciel, lui manda par un ange
« De te donner à un vaillant capitaine.
« C’est alors que le grand, le noble roi la ceignit à mon côté...
« Avec elle je lui conquis l’Anjou et la Bretagne ;
« Je lui conquis le Poitou et le Maine ;
« Je lui conquis la libre Normandie ;
« Je lui conquis Provence et Aquitaine,
« La Lombardie et toute la Romagne ;
« Je lui conquis la Bavière et les Flandres,
« Et la Bulgarie et la Pologne,
« Constantinople qui lui rendit hommage,