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LA CHANSON DE ROLAND

Sur l’herbe verte le comte Roland se pâme.
Cependant un Sarrasin l’épie,
Qui contrefait le mort et gît parmi les autres ;
Il a couvert de sang son corps et son visage.
Soudain il se redresse, il accourt ;
Il est fort, il est beau et de grande bravoure.
Plein d’orgueil et de mortelle rage,
Il saisit Roland, corps et armes,
Et s’écrie : « Vaincu, il est vaincu, le neveu de Charles !
« Voilà son épée que je porterai en Arabie. »
Comme il la tirait, Roland sentit quelque chose...


CLXXI


Roland s’aperçoit qu’on lui enlève son épée ;
Il ouvre les yeux, ne dit qu’un mot :
« Tu n’es pas des nôtres, que je sache ! »
De son olifant, qu’il ne voudrait point lâcher,
Il frappe un rude coup sur le heaume tout gemmé d’or,
Brise l’acier, la tête et les os du païen,
Lui fait jaillir les deux yeux hors du chef,
Et le retourne mort à ses pieds :
« Lâche, dit-il, qui t’a rendu si osé,
« À tort ou à droit, de mettre la main sur Roland ?
« Qui le saura t’en estimera fou.
« Le pavillon de mon olifant en est fendu ;
« L’or et les pierreries en sont tombés. »


CLXXII


Roland sent bien qu’il a perdu la vue :
Il se lève, il s’évertue tant qu’il peut ;
Las ! son visage n’a plus de couleurs.