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INTRODUCTION

à des chants populaires, courts, mélodiques, moitié narratifs et moitié lyriques, comme nous en avons encore un si grand nombre. Que les cantilenæ dont Orderic Vital nous parle au sujet du même Guillaume soient de vraies Chansons de geste, nous en sommes assuré, puisque l’historien nous les représente chantées par des jongleurs. Mais ce dernier caractère, ce caractère essentiel manque aux chants que signale le biographe anonyme de saint Guillaume, et nous partons de là pour affirmer que « ce n’étaient point là des Épopées, mais des Cantilènes ».

Ces Cantilènes offraient d’ailleurs plusieurs autres caractères qu’il est moins facile de déterminer. Elles étaient généralement peu développées, naissaient le plus souvent d’un grand fait historique, et étaient le plus ordinairement consacrées à perpétuer le souvenir de ce seul fait mis en lumière. Quant à leur langue, nous nous étions beaucoup trop avancé en supposant jadis qu’elles avaient été tudesques jusqu’au VIIe siècle. Le jour même où s’est opérée la fusion des Barbares avec les Gallo-Romains, des Germains avec les Celtes latinisés, ce jour-là, les Cantilènes ont pu être chantées en langue romane. Mais il ne faut pas oublier que ces chants étaient essentiellement guerriers et à l’usage de la race militaire de notre pays. Or, quelle était cette race militaire à l’époque mérovingienne, sinon celle des vainqueurs, sinon les Germains ? Voilà donc en quel sens on peut dire fort exactement que ces Cantilènes sont d’origine germanique. Quant à leurs idées, c’étaient visiblement les mêmes que celles de nos propres Chansons de geste, dont nous avons attesté plus haut la profonde germanicité. Sans les invasions enfin, les Cantilènes n’auraient pas eu de raison d’être ; elles n’auraient pas été.

Toutefois nous sentons que nous sommes ici et que nous allons entrer plus avant sur le terrain de l’hypothèse. Mais les documents nous manquent, et nous ne pouvons vraiment raisonner que par analogie. Sur le même héros circulaient sans doute dix ou vingt Cantilènes consacrées à chacune de ses grandes actions, à chacune des péripéties notables de sa vie et