Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
163
LA CHANSON DE ROLAND


CLII


Quand Roland voit que son ami est mort,
Quand il le voit là, gisant la face contre terre,
Très-doucement se prit à le regretter :
« Mon compagnon, dit-il, quel malheur pour ta vaillance !
« Bien des années, bien des jours, nous avons été ensemble.
« Jamais tu ne me fis de mal, jamais je ne t’en fis :
« Quand tu es mort, c’est douleur que je vive. »
À ce mot, le marquis se pâme
Sur son cheval, qui s’appelle Veillantif ;
Mais il est retenu à ses étriers d’or fin :
Où qu’il aille, il ne peut tomber.


CLIII


À peine Roland a-t-il repris ses sens,
À peine est-il guéri et revenu de sa pâmoison,
Qu’il s’aperçoit de la grandeur du désastre.
Tous les Français sont morts, il les a tous perdus,
Excepté deux, l’Archevêque et Gautier de l’Hum.
Celui-ci est descendu de la montagne
Où il a livré un grand combat à ceux d’Espagne.
Tous ses hommes sont morts sous les coups des païens vainqueurs.
Bon gré, mal gré, il erre en fuyant dans cette vallée.
Et voilà qu’il appelle Roland : « À mon aide ! à mon aide ! »
« Hé ! s’écrie-t-il, noble comte, vaillant comte, où es-tu ?
« Dès que je te sentais là, je n’avais jamais peur.
« C’est moi, c’est moi, Gautier, qui vainquis Maëlgut ;
« C’est moi, le neveu du vieux Dreux, de Dreux le chenu ;
« C’est moi que mon courage avait rendu digne d’être ton ami de tous les jours.