Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
161
LA CHANSON DE ROLAND

Qui le fend en deux jusqu’au nasal,
Mais qui, par bonheur, ne pénètre pas en la tête.
À ce coup, Roland l’a regardé,
Et doucement, doucement, lui fait cette demande :
« Mon compagnon, l’avez-vous fait exprès ?
« Je suis Roland, celui qui tant vous aime :
« Vous ne m’aviez pas défié, que je sache ?
« — Je vous entends, dit Olivier, je vous entends parler,
« Mais point ne vous vois : Dieu vous conduise, ami.
« Je vous ai frappé, pardonnez-le-moi.
« — Je n’ai pas de mal, répond Roland ;
« Je vous pardonne ici et devant Dieu. »
À ce mot, ils s’inclinent l’un devant l’autre.
C’est ainsi, c’est avec cet amour qu’ils se séparèrent l’un et l’autre.


CLI


Olivier sent l’angoisse de la mort ;
Ses deux yeux lui tournent dans la tête,
Il perd l’ouïe, et tout à fait la vue,
Descend à pied, sur la terre se couche,
À haute voix fait son « Mea culpa »,
Joint ses deux mains et les tend vers le ciel,
Prie Dieu de lui donner son Paradis,
De bénir Charlemagne, la douce France
Et son compagnon Roland par-dessus tous les hommes.
Le cœur lui manque, sa tête s’incline,
Il tombe à terre étendu de tout son long.
C’en est fait, le comte est mort...
Et le baron Roland le pleure et se lamente :
Jamais sur terre vous n’entendrez un homme plus dolent...