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LA CHANSON DE ROLAND


CXXII


Le comte Roland tient au poing son épée rouge de sang.
Il a entendu les sanglots des Français :
Si grande est sa douleur que son cœur est prêt à se fendre :
« Que Dieu, s’écrie-t-il, t’accable de tous maux !
« Celui que tu viens de tuer, je te le ferai payer chèrement. »
Là-dessus il éperonne son cheval, qui prend très-vivement son élan.
Quel que doive être le vaincu, voici Grandogne et Roland en présence...


CXXIII


Grandogne était un homme sage et vaillant,
Intrépide et sans peur à la bataille.
Sur son chemin il rencontre Roland :
Jamais il ne l’avait vu, et cependant il le reconnaît sûrement,
Rien qu’à son fier visage et à la beauté de son corps,
Rien qu’à sa contenance et à son regard.
Le païen ne peut s’empêcher d’en être épouvanté :
Il veut fuir ; mais impossible !
Roland le frappe d’un coup si vigoureux,
Qu’il lui fend le heaume jusqu’au nasal.
Il coupe en deux le nez, la bouche, les dents ;
Il coupe en deux tout le corps et le haubert à mailles serrées ;
Il coupe en deux les arçons d’argent de la selle d’or ;
Il coupe en deux très-profondément le dos du cheval :
Bref, il les tue tous deux sans remède.
Et ceux d’Espagne de pousser des cris de douleur,
Et les Français de s’écrier : « Les bons coups qu’il donne, notre capitaine, notre sauveur ! »