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LA CHANSON DE ROLAND

« Les Français sont si peu !
« Ceux qui sont devant nous sont à dédaigner ;
« Pas un n’échappera, Charles n’y peut rien,
« Et voici le jour qu’il leur faudra mourir. »
L’archevêque Turpin l’entend :
Il n’est pas d’homme sous le ciel qu’il haïsse autant que ce païen ;
Des éperons d’or fin il pique son cheval
Et va frapper sur Corsablis un coup terrible.
L’écu est mis en pièces, le haubert en lambeaux ;
Il lui plante sa lance au milieu du corps.
Le coup est si rude que le Sarrasin chancelle et meurt ;
À pleine lance, Turpin l’abat mort sur le chemin ;
Puis regarde à terre et y voit le païen-étendu.
Il ne laisse pas de lui parler, et lui dit :
« Vous en avez menti, lâche païen ;
« Mon seigneur Charles est toujours notre appui,
« Et nos Français n’ont pas envie de fuir.
« Quant à vos compagnons, nous saurons bien les arrêter ici.
« Voici la nouvelle que j’ai à vous apprendre : vous allez tous mourir.
« Frappez, Français : que pas un de vous ne s’oublie.
« Le premier coup est nôtre, Dieu merci ! »
Puis : « Montjoie ! Montjoie ! » s’écrie-t-il, pour rester maître du champ.


XCVI


Malprime de Brigal est frappé par Gerin ;
Son bon écu ne lui sert pas pour un denier :
La boucle de cristal en est brisée,
Et la moitié en tombe à terre.
Son haubert est percé jusqu’à la chair
Et Gerin lui plante au corps sa bonne lance.
Le païen tombe d’un seul coup ;
Satan emporte son âme.