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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

Un jeune savant français lui a donné sa formule définitive : « L’Épopée française, dit-il, est sortie d’un milieu roman d’où l’élément germanique n’était pas absent, mais où il ne dominait pas[1] ». Nous nous rapprochons beaucoup plus de ce système que du précédent : il est à peine utile de le dire. Mais nous y trouvons encore je ne sais quel dédain pour l’influence germaine que nous ne saurions tenir pour légitime. Posons donc nos conclusions.

Est-il vrai, oui ou non, que, parmi les trois peuples dont notre nationalité s’est formée, le seul qui chantât, le seul qui eût des habitudes poétiques, le seul qui fût apte à la poésie primitive, ait été le peuple germanique ?

Est-il vrai, oui ou non, que les Gallo-Romains étaient absolument incapables de créer une épopée ? Si les Celtes chantaient encore, est-il vrai, oui ou non, que leurs traditions ou leurs fables n’avaient rien de commun avec la légende de notre Épopée ?

Est-il vrai, oui ou non, que la Royauté, décrite dans la Chanson de Roland, est absolument une royauté barbare ? que le Droit et la Procédure de nos vieux poëmes sont rigoureusement germaniques ?

Est-il vrai, oui ou non, que les Germains ont en réalité possédé des traditions légendaires et des poëmes oraux dont nous pouvons attester l’existence depuis Tacite jusqu’à Éginhard ?

Toutes ces questions, d’ailleurs, peuvent se résumer en une

  1. Bibliothèque de l’École des Chartes, 28e année, 6e série, tome IIIe, 4e livraison : Recherches sur l’Épopée française, par M. Paul Meyer, p. 325, 326. — L’argumentation de M. Meyer peut se résumer en cette proposition : « L’Épopée française n’est ni celtique, ni romane, ni germanique. Elle est née à une époque où ces trois éléments étaient fondus en une seule nationalité, qui est la nationalité romane. Donc, notre Épopée est romane. » Rien de plus vrai. Mais enfin, (tout le monde le reconnaît), la nationalité romane s’est formée de plusieurs éléments. Il nous est permis de remonter le cours du temps et de nous demander quel est celui de ces éléments auquel notre poésie nationale est le plus redevable. Et nous affirmons que c’est l’élément germain, et que, sans lui, notre Épopée ne serait pas.