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LA CHANSON DE ROLAND


LXXXVI


« — Je ne vois pas où serait le déshonneur, dit Olivier.
« J’ai vu, j’ai vu les Sarrasins d’Espagne ;
« Les vallées, les montagnes en sont couvertes,
« Les landes, toutes les plaines en sont cachées.
« Qu’elle est puissante, l’armée de la gent étrangère,
« Et que petite est notre compagnie !
« — Tant mieux, répond Roland, mon ardeur s’en accroît :
« Ne plaise à Dieu, ni à ses très-saints anges,
« Que France, à cause de moi, perde de sa valeur !
« Plutôt mourir qu’être déshonoré :
« Plus nous frappons, plus l’Empereur nous aime ! »


LXXXVII


Roland est preux, mais Olivier est sage ;
Ils sont tous deux de merveilleux courage.
Puis d’ailleurs qu’ils sont à cheval et en armes,
Ils aimeraient mieux mourir que d’esquiver la bataille.
Les comtes ont l’âme bonne, et leurs paroles sont élevées...
Félons païens chevauchent par grande ire :
« Voyez un peu, Roland, dit Olivier ;
« Les voici, les voici près de nous, et Charles est trop loin.
« Ah ! vous n’avez pas voulu sonner de votre cor ;
« Si le grand Roi était ici, nous n’aurions rien à craindre.
« Jetez les yeux là-haut, vers les monts d’Espagne :
« Vous y verrez dolente arrière-garde.
« Tel s’y trouve aujourd’hui qui plus jamais ne sera dans une autre.
« — Honteuse, honteuse parole, répond Roland.
« Maudit soit qui porte un lâche cœur au ventre !