Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
LA CHANSON DE ROLAND

« Voyez cette épée dont la poignée est d’or,
« Et que je tiens de l’émir de Primes ;
« Elle sera bientôt, je vous le jure, plongée dans le sang rouge.
« Français mourront, et France tombera dans la honte.
« Pour le vieux Charles à la barbe fleurie,
« Sa douleur et sa colère n’auront plus de fin.
« Avant un an nous aurons mis la main sur la France,
« Et nous coucherons à Saint-Denis. »
Le roi païen s’incline profondément devant Margaris.


LXXVIII


D’autre part est Chernuble de Muntnigre.
Ses cheveux descendent jusqu’à terre ;
En se jouant, il porte un plus grand faix
Que ne font quatre mulets chargés.
Dans son pays, dit-on,
Le soleil ne luit pas, et le blé n’y peut croître.
La pluie n’y tombe point, et la rosée ne touche pas le sol.
Toutes les pierres y sont noires,
Et plusieurs prétendent que c’est la demeure des démons.
« J’ai ceint ma bonne épée, dit Chernuble ;
« Je la teindrai en rouge à Roncevaux.
« Si je trouve Roland le preux sur mon chemin,
« Je l’attaquerai, ou je veux qu’on ne me croie plus jamais.
« Je conquerrai l’épée Durendal avec mon épée.
« Français mourront, France en sera déserte. »
À ces mots, les douze pairs de Marsile s’élancent et s’éloignent ;
Ils emmènent avec eux cent mille Sarrasins,
Qui se hâtent et s’excitent à la bataille.
Sous un bois de sapins ils vont s’armer.