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LA CHANSON DE ROLAND


LXVI


Hautes sont les montagnes, ténébreuses sont les vallées ;
La roche est noire, terribles sont les défilés...
C’est là que, ce jour même, les Français passèrent, non sans grande douleur :
À quinze lieues de là on entendit leur marche.
Mais, lorsqu’en se dirigeant vers la Grande-Terre,
Il virent la Gascogne, le pays de leur seigneur,
Alors un souvenir les saisit : celui de leurs fiefs et de leurs domaines,
Celui de leurs petites filles et de leurs nobles femmes ;
Et il n’en est pas un qui ne pleure de tendresse !
Mais entre tous le plus angoisseux, c’est Charles
Qui a laissé son neveu aux défilés d’Espagne.
Il est pris de douleur, et ne se peut empêcher de pleurer.


LXVII


Les douze Pairs sont restés en Espagne :
Vingt mille Français sont en leur compagnie.
De peur, ils n’en ont pas ; point ne craignent la mort.
Quant à l’Empereur, il s’en retourne en France ;
Sous son manteau cache sa contenance.
Le duc Naimes chevauche à son côté :
« Quelle pensée vous pèse ? dit-il au Roi.
« — Le demander, répondit Charles, c’est me faire outrage.
« J’ai si grand deuil que je ne puis pas ne pas pleurer :
« Ganelon va détruire la France.
« Cette nuit je vis un ange en rêve ;
« Je vis entre mes mains Ganelon briser ma lance,
« Celui-là même qui fit mettre mon neveu à l’arrière-garde.