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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

d’une santé énergique. On a fait de Roland un soldat uniquement épris de la guerre : c’est que telle fut en réalité la plus chaude passion des Franks, et plus tard des Français. On n’a point manqué de lui attribuer une bravoure de lion : l’Histoire ne nous atteste-t-elle pas, à chacune de ses pages, que le courage était chez nos pères une vertu presque banale ? Mais on n’a pas oublié de lui prêter aussi quelques défauts qui sont les nôtres : il est brutal comme un soldat, colère comme un barbare, boudeur comme une femme ou comme un enfant. Néanmoins on lui pardonne beaucoup, comme à tous les Français, parce qu’il a le cœur haut et large. Les proportions de ce cœur sont, en vérité, magnifiques : Roland ne connaît pas les petitesses de la vengeance ; il n’est pas de la race étroite des rancuniers : encore une vertu française. Mais surtout qui peindra son amour pour la France ? Où sont-ils, ces esprits aveugles ou myopes qui prétendent que le patriotisme n’est pas chez nous âgé de plus de cent ans ? À coup sûr Roland aime autant son pays que le plus sincère et le plus dévoué des volontaires de 1792. La France ! il n’a que ce mot à la bouche et cet amour au cœur, et voici quelques mots qui sont le résumé de son âme : « Terre de France, vous êtes un doux pays ! » Quand la France est en péril, il regarderait comme une honte de penser à tout autre être aimé, même à sa fiancée, même à la belle Aude. Il se rue dans la mêlée en songeant à deux choses, à la France et à sa gloire pour laquelle il a des soins délicats et tendres. C’est là justement ce qu’on a si bien appelé l’honneur français, et qui ne se retrouve point ailleurs. La piété, une piété profonde et forte, domine et pénètre toutes les vertus de

    magni metire nepotis — Ingentes artus. Cætera facta docent ». Génin a cité avant nous le témoignage de Gryphiander : « En effet, nous autres, Allemands, quand nous voyons un homme de taille ample et haute, un colosse quelconque, nous disons : C’est un Roland. » (De Rolandis seu Weichbildis.) Cf. dans l’Introduction de Génin (p. xxii-xxiv) le curieux récit de l’historien du prince palatin Frédéric II, qui eut la curiosité d’ouvrir le tombeau de Roland à Blaye et n’y trouva, au lieu d’ossements gigantesques, « qu’un tas d’osselets à peu près gros comme deux fois le poing. » (Hubertus Thomas Leodius, De Vita Frederici II, lib. I, p. 5.)