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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

Tout le monde sait que l’Orthographe n’a point existé au moyen âge. Comme le disait spirituellement notre excellent maître, M. Guessard, « l’Orthographe est un contrat social en matière d’écriture, et il ne paraît point que ce contrat ait été signé avant le xviie siècle, avant Vaugelas. » Rien n’est plus vrai, et le même mot nous apparaît, durant tout le moyen âge, écrit de quatre ou cinq façons différentes dans un seul et même texte. Ajoutons cependant que sous ces variantes une certaine orthographe, d’origine latine, a persévéré quand même. Ajoutons surtout (et cette proposition nous paraît absolument scientifique) que, si le même mot peut revêtir quatre ou cinq formes différentes dans le même document, il en est une, presque toujours, qui est préférable à toutes les autres. C’est quelquefois parce qu’elle est la plus étymologique ; c’est, le plus souvent, parce qu’elle est dans un rapport plus exact avec le Dialecte et la Phonétique du document où elle se trouve. Eh bien ! nous avons, pour notre texte du Roland, fait notre choix entre ces différentes formes ; nous avons adopté celle qui nous a paru scientifiquement la meilleure[1]. Nous avons enfin, s’il faut dire le grand mot, ramené notre texte à l’unité orthographique.

Nous nous sommes dit que la Chanson de Roland est véritablement un texte exceptionnel et qu’elle méritait ce labeur. Avant que l’Iliade eût revêtu sa forme définitive, elle a dû subir, dans sa langue originale, bien des corrections analogues ou semblables. Pourquoi ne donnerions-nous pas scientifiquement à notre vieille Chanson, à notre Iliade, toute la pureté de texte dont elle est susceptible ? Nous l’avons tenté, et nous ne pensons pas, d’ailleurs, qu’aucune des formes que nous avons préférées soit inférieure à aucune de celles que nous avons rejetées.

Il convient, toutefois, qu’on ne se méprenne pas sur notre but. Le voici en quelques mots : restituer le texte du Roland tel qu’il aurait été écrit par un scribe intelligent et

  1. Il peut arriver quelquefois que deux formes sont aussi acceptables l’une que l’autre, mais alors le choix n’a rien de périlleux.