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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

diesse d’aborder la grande mort de notre héros ; mais il traduisit en vers incomparables les couplets de Girars de Viane consacrés à la lutte de Roland et d’Olivier. C’était donner une popularité nouvelle à la plus française de toutes les légendes, au plus français de tous les héros. Deux ans plus tard Mermet (pourquoi n’était-ce pas Gounod ?) jeta sur la scène de l’Opéra un Roland à Roncevaux, dont il avait emprunté le livret tantôt à notre vieille chanson, tantôt aux poëmes italiens, et d’autres fois, hélas ! à sa propre imagination et aux traditions… de l’Opéra[1]. La musique, je l’avoue, n’était guèrequ’une série

    Et surtout de songer, lui, vainqueur des Espagnes,
    Qu’on fera des chansons dans toutes ces montagnes
    Sur ces guerriers tombés devant des paysans,
    Et qu’on en parlera pendant quatre cents ans…

  1. 1 L’œuvre de Mermet repose sur ces deux données qui sont également fausses : 1o Roland a fait « vœu de ne pas aimer », de ne pas « donner son cœur », et, s’il meurt à Roncevaux, c’est qu’il a manqué à son vœu en aimant la belle Alde. Sa mort est donc un châtiment céleste, et non pas un martyre sublime. — 2o Alde, qui est une orpheline, est sur le point d’épouser malgré elle le comte Ganelon, quand soudain apparaît Roland, qui provoque en duel le « chevalier félon » et empêche ce mariage forcé. De là l’implacable haine de Ganelon contre Roland qu’il livre à l’émir de Saragosse. ═ Il est vraiment déplorable qu’on ait eu recours, en un tel sujet, à de telles imaginations, et M. Mermet est d’autant moins excusable qu’il a connu notre vieux poëme et l’a parfois imité d’assez près. (V. notamment la belle allocution de Turpin aux chevaliers français, pp. 56, 57 de l’éd. Michel Lévy, en 1865.) ═ Quant au « Chant de Roland », c’est une platitude littéraire qui se complique d’une platitude musicale. Toutefois, nous le citons ici, pour donner à nos lecteurs une idée complète de toutes les formes qu’a reçues notre légende :

    CHANSON DE ROLAND
    Dans les combats, soldats de France,
    Des preux chantez le plus vaillant.
    Tout fuit quand il brandit sa lance,
    Chantez, Français, chantez Roland.

    J’entends au loin, dans les campagnes
    Perçant les bois et les montagnes,
    Des ennemis glaçant le cœur,
    Son cor d’ivoire au son vainqueur.

    Là-bas, dans la plaine sanglante,
    Brille une épée étincelante,
    Rouge comme un soleil couchant :
    C’est Durendal au dur tranchant.

    Dans les combats, soldats de France, etc.
    (Roland à Roncevaux, éd. M. Lévy, p. 12.)