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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

parfois de n’être pas assez vulgarisatrice, nous donna, en cette même année 1855, un exemple dont nous ne savons guère profiter. Je parlais de Simrock tout à l’heure : c’est alors qu’il publia une nouvelle édition de son beau livre : Kerlingisches Heldenbuch[1], que lisent avec amour tous les enfants d’outre-Rhin. Déjà les frères Grimm n’avaient pas cru déroger en écrivant leurs Traditions allemandes[2] pour les ignorants, les enfants et les femmes. Quand viendra le temps où les hommes de science et les hommes d’esprit consentiront, en France, à suivre de si hauts exemples ? Jusqu’à quand laisserons-nous à la sottise et à la médiocrité le privilége de faire l’éducation de nos filles et de former virilement l’âme de nos garçons ? Petits livres bêtes, jusqu’à quand règnerez-vous ?

Malgré tout, la lumière continuait à se faire parmi nous, et la France ne montrait pas trop d’inconstance dans son amour si nouveau pour ses vieilles épopées. Mais, par malheur, le succès de toute entreprise, même littéraire, exige en France l’intervention de l’État, et nous ne touchons pas encore à cette ère de décentralisation que nous avons toujours souhaitée et attendue. Donc, l’État dut s’occuper de nos épopées. Il se trouva fort heureusement que nous eûmes affaire à un ministre intelligent et épris des choses du Moyen âge. M. H. Fortoul eut le coup d’œil assez juste pour voir que la publication de nos textes poétiques était encore le desideratum le plus urgent de la science. Il décréta la publication de toute notre poésie du moyen âge, et confia à M. Guessard la direction de ce Recueil gigantesque. Le raille qui voudra ! M. Fortoul n’avait pas eu, suivant nous, une conception trop vaste. La mort fit avorter ce projet, comme elle a tué tant d’autres choses, encore plus grandes, et qui restent grandes quand même. Les soixante volumes rêvés par M. Fortoul, et dont notre Roland eût été l’incomparable frontispice, se

    de la France, qui sont conservés en Suède, en Danemark et en Norwége, par M. Geoffroy, Paris, in-8o, 1855. (Archives des Missions.)

  1. À Francfort-sur-le-Mein.
  2. V. les Traditions allemandes des frères Grimm, traduites par M. Theil, en 1838. Paris, Levasseur, 2 vol. in-8o.