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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

Roland. Un grand savant italien leur avait ouvert la voie. Baronius, dans le tome xiii de ses Annales[1], avait discuté, en vrai critique, les légendes ou les fables auxquelles avait donné lieu le désastre de Roncevaux. Les Bollandistes ne pouvaient que suivre un tel exemple : dans leur tome ii, et à l’occasion de « saint Charlemagne », ils flétrissent énergiquement le Faux Turpin. Ce sont ces mêmes savants qui, en 1688, prononcèrent ces paroles mémorables, où il fut enfin rendu justice à nos malheureuses Chansons : « Peut-être (dirent les Bollandistes, au sujet de saint Guillaume de Gellone[2]) celui qui publierait ces poëmes mériterait bien de la vieille langue française. » Malgré le peut-être, cette phrase était une hardiesse ; que dis-je ? une témérité, si l’on songe au moment où elle fut prononcée. Notre légende, d’ailleurs, avait dû occuper quelques historiens qui ne pouvaient s’empêcher de la rencontrer sur leur route. Pierre de Marca étudia Roncevaux dans l’histoire[3]. Au sujet de la légende elle-même, les esprits se partageaient. Moreri déclare net et d’un ton roide que nos Romans sont des contes fabuleux[4]. le bonhomme Mézeray est plus crédule ; il l’est trop ; car il admet comme un fait historique que Roland fut enterré à Blaye, et il le qualifie très-gravement « d’amiral des côtes de Bretagne et de comte d’Angliers[5] ». Un esprit délié, un type parfait d’érudit

  1. Ann. 778, § i et ii ; et ann. 812, § xiv-xviii. ═ Cf., dans l’éd. de Lucques, en 1753, t. XIII, pp. 125, 126, les Critiques de Pagi. (Ann. 778, § iii-vi.)
  2. « De Francica tamen veteri lingua fortassis non male mereretur qui ejusmodi pœmata proferret in lucem. » (Acta sanctorum Maii, VI, p. 811.)
  3. Marca Hispanica, auctore Petro de Marca, Parisiis, apud Fr. Muguet, 1688, in-folio (lib. III, cap. vi, col. 245-255). Le cinquième paragraphe du chapitre vi a pour titre : Insidiæ Karolo structæ in faucibus Pyrenœi. Dans les §§ suivants, Pierre de Marca réfute les fables des Espagnols, dont il rend Rodrigue de Tolède principalement responsable : « Rodericus Toletanus talium fabularum est pater et patronus. » Cf. l’Histoire du Béarn, publiée à Paris dès 1640.
  4. « Les romans et les poëtes attribuent à Roland des aventures surprenantes, et ces contes sont aussi fabuleux que ceux des Espagnols. »
  5. « Ce fameux Roland, l’Achille français, si dignement chanté par l’Arioste, l’Homère italien, était amiral des côtes de Bretagne et comte d’Angliers (sic). Charles le fit enterrer à Blaye, avec son épée à sa tête et son cor d’ivoire à