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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

Roland à Roncevaux[1]. À Duverdier et à la Croix du Maine[2], il ne faut demander que des indications bibliographiques ; il faut surtout nous montrer fort reconnaissants de celles qu’ils nous donnent sur ces vieux poëmes si dédaignés de leur temps. C’est ainsi que quelques savants du xvie siècle travaillaient dans l’ombre sur nos antiquités nationales, tandis que la foule des érudits se tournait uniquement vers l’étude lumineuse et charmante de la littérature antique. Le temps n’était point venu où les Français attacheraient enfin quelque prix à l’histoire des lettres françaises. On ne s’occupait guère qu’à essayer de créer une nouvelle langue nationale, aussi grecque, aussi latine et aussi peu française qu’il se pouvait. Tel était l’idéal. Cependant Ronsard régnait ; car l’on peut dire avec quelque justesse : « Le roi Ronsard. » Pressé par tous les beaux esprits de son temps, il consentit, un jour, à composer cette Iliade, cette Énéide qui manquait à son pays et, d’une main lourde, écrivit les quatre premiers livres de sa très-médiocre et très-ennuyeuse Franciade[3]. Il eut l’esprit de sentir qu’il induirait ses lecteurs en bâillement, et s’arrêta. La grande entreprise épique de la Renaissance avorta misérablement[4].

Le xviie siècle eut, contre le moyen âge et contre notre Èpopée, un mépris qui fut plus régulier, plus correct, mais aussi vif. Là-dessus, l’école de Malherbe est d’accord avec celle de Ronsard. Seulement, elle englobe Ronsard lui-même dans son dédain, le trouvant trop fantaisiste et trop léger. D’ailleurs, on était séparé du moyen âge par une distance plus longue. On l’ignorait davantage : disons le mot, on l’ignorait absolument. Les idées de la Renaissance reçurent donc du « grand siècle »

  1. Recherches de la France, livre VII, chap. iii. (Édition d’Amsterdam en 1723, I, pp. 686-692.) C’est au livre II, chap. xv (p. 119 de la même édition), que Pasquier discute l’historicité de Roncevaux.
  2. La Bibliothèque française, de Duverdier, parut en 1580, et celle de la Croix du Maine en 1584.
  3. V. Œuvres de Ronsard, éd.- Nicolas Buon, I, 582
  4. Rabelais ne parle de Roland qu’en passant, pour le faire mourir de soif. (Pantagruel, liv. II, chap. vii.)