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INTRODUCTION

fallait aimer. Mais à ce point ? non pas. Et d’ailleurs, il était très-facile de concilier cet amour avec le respect de son pays, avec le souvenir de ses héros, avec le culte de sa poésie nationale. C’est ce que l’Allemagne et l’Angleterre surent bien faire : c’est ce que l’Italie et la France ne firent pas.

Donc, ne nous attendons pas à trouver, depuis le xvie siècle, nos vieux poëmes entourés du même amour. Ils seront désormais stationnaires ; ils ne recevront plus de nouveaux développements : car il n’y a plus désormais à s’occuper de nos Chansons et en particulier de notre Roland que deux classes de lecteurs : d’une part, le peuple des campagnes et la petite bourgeoisie qui dévorent nos Romans en prose, et, d’un autre côté, les érudits qui commencent à considérer ces Épopées tant dédaignées comme une curiosité, comme une « antiquaille », comme un objet de vitrine ou de musée. Hélas ! la Chanson de Roland est bien morte, puisque les érudits s’en occupent.

Deux savants du xvie siècle ont eu le mérite d’ouvrir la voie à ces nouvelles études : nous avons nommé Fauchet et Pasquier. Mais quel esprit différent ils apportent à ce travail ! L’un est plein de mépris pour nos vieux poëmes, et ne le dissimule pas. L’autre ne sait pas cacher ses sympathies très-vives pour cette poésie oubliée. Fauchet est un esprit critique, agressif, voire un peu bilieux. Dans son Recueil de l’origine, de la langue et poésie françaises[1], il essaie de faire connaître « cent vingt-sept poëtes français antérieurs à 1300 ». Il prononce bien le nom de Girart d’Amiens ; mais de Roland, pas un mot. S’il en parle dans ses Antiquitez et Histoires gauloises et françaises[2], c’est pour attaquer les fables du Faux Turpin avec je ne sais quelle acrimonie qui n’est pas de situation. Le bon Pasquier[3], causeur charmant bien qu’un peu long, n’a pas ce ton colère, lorsqu’il cherche à démêler les éléments historiques de la légende de

  1. Paris, Mamert Patisson, impr. du Roy, au logis de Robert Estienne, 1581, avec privilége
  2. Antiquitez et Histoires gauloises et françaises. (Édition de Genève, chez Paul Moreau, 1611, p. 473, etc.)
  3. 1529-1625.