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INTRODUCTION

de notre héros, qui, déjà habillé à l’italienne, devint bientôt méconnaissable sous le déguisement des traductions espagnoles. Mais tout ce bruit allait cesser[1]. La grosse voix railleuse de Cervantes allait bientôt gourmander tous les fabricants de romans plus ou moins chevaleresques. En 1605, parut la première partie de Don Quichotte[2]. Nous aimerions ce livre, s’il n’avait pas tué la véritable Chevalerie en même temps que la fausse, s’il n’avait pas déshonoré la légende de notre Roland en même temps que celle d’Artus. Malgré la foule de ses admirateurs, nous regardons Don Quichotte comme un livre dont l’influence a été détestable. Il a plu à Victor Hugo de ranger Cervantes parmi les quatorze grands génies de l’humanité. Jamais l’auteur d’une parodie ne méritera tant de gloire. Et nous protestons !

Mais voici que nous avons parcouru toute l’Europe. Partis de France par le Rhin, nous voici par les Pyrenées revenus en France. Avons-nous besoin de dire qu’en France tout est plein de Roland ? Les trouvères et les troubadours n’ont que ce nom aux lèvres, et la Poésie lyrique ne le chante pas moins ardemment que l’Épopée. Les romans de toutes les autres Gestes lui rendent le même hommage, et l’auteur inconnu de la Bataille

    1578 (par Martin Abarca) ; à Alcala en 1577 ; à Tolède en 1581 (par Francesco Garrido de Villena). L’Orlando furioso fut traduit par Fernando de Alcazer (Tolède, 1510) ; par D. Jeron. de Urrea (Anvers, 1549) ; par Nic. Espinosa (Saragosse, 1555) ; par Diego Basquez de Contreras (Madrid, 1585), etc. (V. nos Épopées françaises, II, 403.)

  1. M. Fr. Michel a donné, dans la 1re édition de son Roland (p. 276), la liste de toutes les pièces de théâtre espagnoles où il est question de Roland. L’Épopée ne chantait pas moins vivement notre héros. V. l’Espana defendida, poema heroyco de Christoval Suarez de Figueroa (Madrid, 1612), et El Bernardo o Victoria de Roncesvalles, poema heroyco del doctor don Bernardo de Balbvena, etc. (Madrid, 1624), etc.
  2. C’est surtout contre les Romans d’aventure ou de la Table-Ronde que Don Quichotte fut écrit. Cependant Cervantes s’attaque plus d’une fois aux souvenirs de notre vieux poëme : « Quant au traître Ganelon, notre gentilhomme (don Quichotte) eût donné de très-bon cœur sa servante, et sa nièce par-dessus le marché, pour lui pouvoir donner cent coups de pied dans le ventre. » (Ch. i.)