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INTRODUCTION

poste des nations chrétiennes. Nous n’avons pas à nous occuper ici de la légende du Cid[1], sinon pour répéter avec le dernier éditeur français de ce beau Chant national : « Le poëme du Cid est du milieu du xiie siècle. Plusieurs critiques le font plus moderne : aucun ne lui a assigné une date antérieure. Or, à la même époque où parut ce premier monument de la littérature espagnole, nous avions déjà, nous, Français, non pas seulement une œuvre isolée, mais toute une littérature. » Et M. Paulin Paris ajoute, avec raison, que le Cid fut composé sur le modèle des Chansons de geste françaises[2]. Sur l’antériorité du Roland, les avis ne sont plus partagés : tous les érudits sont d’accord.

Il n’est pas moins certain que l’Espagne fut de fort bonne heure sillonnée par des jongleurs[3], qui avaient la bouche pleine des noms de Charlemagne et de Roland, et qui racontaient à la française cette légende si française. Mais de très-bonne heure une réaction se fit contre ces récits trop glorieux pour la France, trop oublieux du nom espagnol. La passion s’en mêla ; la jalousie nationale éclata. De là tout un autre groupe, non pas de légendes ou de traditions, mais de récits ou plutôt d’imaginations espagnoles : « Comment ! Charlemagne aurait eu l’audace de faire des conquêtes au delà de nos Pyrénées, sur le noble sol de l’Espagne ! Et voilà ce que nous chantent nos jongleurs ! Nous leur donnons un énergique démenti ; nous protestons contre leurs fables, et allons rétablir la vérité.

  1. Damas Hinard, Le Poëme du Cid, Introduction, p. lv.
  2. Étude sur les Chansons de gestes, Correspondant, année 1864, p. 733.
  3. Alfonse X, en sa Cronica general, parle souvent des cantares de gesta et des juglares, et il en parle au sujet de légendes évidemment empruntées à nos vieux poëmes (V. G. Paris, l. I, p. 204). Quant à notre légende de Roland, elle avait pénétré en Espagne tout au moins dès le xiie siècle. « La preuve, dit l’auteur de l’Histoire poétique de Charlemagne, se trouve dans un poëme latin composé à la louange du roi Alfonse VII, peu de temps après la mort de ce prince (1157). L’auteur, louant un guerrier, dit de lui : « S’il avait vécu au temps de Roland, et qu’il fût le troisième avec lui et Olivier, la nation des Sarrasins serait sous le joug des Français. » (Florez, Espana Sagrada, XXI, 405.)
    Tempore Roldani si tertius Alvarus esset, etc.