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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

poëte, quant aux auteurs de la Rotta de Roncesvalle et de la Vita e Morte d’Orlando[1], ils n’ont à nos yeux qu’un mérite : celui de prouver par leurs œuvres la persistance, l’opiniâtre et indestructible persistance de la légende de Roland. En l807[2] il se trouvait encore un poëte pour rimer des octaves sur la mort de Roland[3]. En 1807 ! En Italie ! C’est sur ce fait qu’on peut terminer l’histoire de notre légende dans le pays de l’Arioste et du Tasse…

Donc, après que l’Italie eut avidement écouté nos traditions épiques, que l’écriture n’avait pas encore fixées ; après que des jongleurs lui eurent chanté nos propres poëmes plus ou moins italianisés ; après qu’on eut réduit nos Chansons de geste en prose italienne ; après que des poëtes italiens eurent traduit cette prose en vers de leur pays ; après ces quatre époques que nous avons essayé de déterminer nettement, une cinquième époque s’ouvrit. Il parut en Italie tout un groupe de génies vigoureux, beaux chanteurs et beaux coloristes, un peu railleurs et dont les larmes étaient mêlées de sourires : Boiardo, l’Arétin, Pulci, et surtout l’Arioste qui fit école et dont les derniers élèves ont écrit je ne sais quelles platitudes rolandiennes jusqu’au commencement du siècle où nous vivons. Il ne nous reste plus qu’à demander à l’Italie quelque reconnaissance pour nos poëtes du moyen âge, et, à défaut de reconnaissance, un peu de justice.

Passons en Espagne, et saluons tout d’abord ce boulevard sublime de la chrétienté contre l’islamisme, ce glorieux avant-

  1. Nous avons cité ailleurs la plupart des œuvres qui sortirent de la trop nombreuse école poétique de Boiardo et de l’Arioste ; nous avons signalé (Épopées françaises, II, pp. 404, 405) les Remaniements de l’Orlando innamorato par Domenichi (1545) et par Berni (1541) ; sa Continuation par Agostini (1506-1528) ; les Suites de l’Orlando furioso dues à Pescatore (1548-1551) et à Pauluecio (1543) ; l’Antafor de Barosia (1519) ; la Dragha d’Orlando (1525 et 1527) ; les Prime emprese del c. Orlando par Dolce (1572) ; la Gran Ballaglia dal gigante Malossa fatta con Orlando (1567 et 1575) ; la Rotta de Roncesvalle, que nous venons de nommer ; le Di Orlando santo vita e morte con venti mile cristiani uccisi in Roscivalli, cavata del Catalogo de’ santi (1597), et enfin l’Orlando d’Ercole Oldoïno (1595).
  2. En 1795, Fed. Asinari avait publié son Dell’ira d’Orlando.
  3. La Morte di Orlando, Ottave d’Ermolao Barbaro.