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INTRODUCTION

culier notre Roland, dans la littérature italienne, même après le règne de Dante. Les Italiens ont commencé par écouter nos légendes et se les graver dans la mémoire ; puis, ils nous ont pris nos poëmes tout faits ; puis, ils les ont traduits en prose. Ils ne s’arrêteront pas là.

Ces romans en prose, ces Reali, eurent un éclatant succès qu’attestent éloquemment un grand nombre de manuscrits et d’éditions imprimées. Mais les Italiens n’étaient pas faits pour aimer longtemps de telles fictions dépouillées de l’harmonie et de la couleur poétiques. On éprouva de bonne heure le besoin très-vif de mettre en vers les Reali, et en particulier la Spagna. Sostegno di Zanobi se chargea volontiers de cette dernière besogne, à laquelle il apporta, d’ailleurs, plus de bonne volonté que de verve originale. Son poëme, la Spagna istoriata[1], est un calque des Reali, ou plutôt de Nicolas de Padoue. Qu’importe ? Un grand pas vient d’être fait : il existe enfin un poëme épique en vers italiens. Ce poëme, malgré sa médiocrité, ouvre toute une ère nouvelle. Il va, comme l’a si bien dit M. G. Paris, « être le prototype de l’Épopée italienne. » À tout le moins, c’est son point de départ[2].

D’autres poëtes vont venir, mais vigoureux et originaux. Ils regarderont autour d’eux : ils chercheront un sujet, un héros d’épopée. La Spagna frappera leurs oreilles et leurs yeux. « Roland ! s’écrieront-ils, il n’y a que Roland ! » Et Pulci écrira son Morgante maggiore[3], et Boiardo, son Orlando inna-

  1. Le Libro chiamato la Spagna fut écrit au xive siècle. Suivant G. Paris, Sostegno di Zanobi écrit directement d’après les poëmes français, « qu’il suit jusque dans les détails. » (l. I, p. 192.) On trouve des fragments de la Spagna istoriata à la fin du Roland de Fr. Michel (1re édition). Imprimée pour la première fois en 1487 à Bologne, elle fut réimprimée à Venise en 1488, 1514, 1534, 1557, 1564, et à Milan en 1512 et 1519. Ce fut un grand succès.
  2. Il convient de citer, comme appartenant de loin à la même famille que la Spagna, l’Innamoramento di Milone d’Anglante e di Berta, poëme toscan des premières années du xvie siècle (Milan, 1529 ; Venise, 1548) ; et surtout la Rotta de Roncesvalle (Florence, s. d., puis 1590 ; Sienne, 1607, etc.).
  3. La première édition est de 1485 (Venise).