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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

Mala la visteis, Franceses, — La caza de Roncesvalles[1] ; mais je voudrais en être plus sûr. Les Grecs du Bas-Empire étaient moins faits encore que les Sibériens pour l’intelligence de notre poésie nationale. Une allusion à la mort de Roland, qu’on a découverte à grand’peine dans le De rebus Turcicis de Laonicus Chalcondylas : voilà tout ce que nous trouvons chez cette race en perpétuelle décadence[2]. C’est peu. Quant à ce bon ermite turc, qui montra à Thévenot l’épée et le tombeau de Roland à Burse, en Natolie, je n’ai jamais pu me persuader que ce fût un véritable ermite… et un vrai Turc[3]. Prétendre que Roland est mort musulman, me paraît une plaisanterie qui dépasse de beaucoup la gaieté musulmane. Vite, quittons ce pays ingrat et embarquons-nous pour l’Italie…

C’est en Italie que l’histoire de notre légende a traversé le plus de phases régulières ; c’est en Italie qu’elle les a le plus régulièrement traversées... Tout d’abord les traditions sur Charlemagne et Roland ne s’y répandent qu’oralement. La popularité de nos héros n’existe encore que sur les lèvres italiennes. Mais bientôt les monuments figurés, les pierres vont parler. On connaît ces statues de Roland et d’Olivier, qui sont grossièrement sculptées sur le portail de la cathédrale de Vérone[4]. Et Génin a cité avant nous cette inscription encastrée dans le mur de la cathédrale de Nepi : « L’an du Seigneur 1131, les chevaliers et consuls de Nepi se sont liés par serment. Si l’un d’eux veut rompre notre association, qu’il meure de la mort infâme de Ganelon[5]. »

  1. De Puymaigre, les Vieux Auteurs castillans, II, 323.
  2. Λαονιϰοῦ Χαλϰοϰονδούλου Αθηναίου ἀπόδειξις ἱστορίων δέϰα. (Parisiis, e typ. regia, 1650, in-fo.) Le Chroniqueur admet (p. 45-46) la fable de Roland « mourant de soif ».
  3. Thévenot en ses Voyages. Cf. Moreri, au mot Burse.
  4. On a contesté cette attribution. Mais, alors même que le mot Durindarda aurait été écrit après coup sur l’épée d’un de ces deux chevaliers, cette addition serait encore une preuve de la popularité de notre héros.
  5. Lebas, Recueil d’inscriptions, 5e cahier, p. 191, cité par Génin, I. l., Introduction, p. xxi. ═ Cf. la fameuse inscription de Spello, que nous avons citée plus haut.