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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

C’est ainsi qu’en Allemagne la gloire de Roland a conservé tout son éclat, bien longtemps après le Moyen âge. La Renaissance, en effet, n’a pas eu, de l’autre côté du Rhin, la détestable influence qu’elle a conquise parmi nous. Elle n’a pas inspiré aux Allemands du xvie siècle cet injuste mépris pour tous les siècles chrétiens, ce dédain sans raison pour toute littérature et pour toute poésie autres que celle de la Grèce et de Rome. Encore aujourd’hui Roland, notre Roland n’est pas oublié là-bas. Ce n’est point ici le lieu de parler des beaux travaux d’érudition qui lui ont été consacrés. Qu’il nous suffise de dire qu’un Allemand, M. Hertz, a fait récemment[1], de notre vieux poëme, l’objet d’une traduction qui est à la fois scientifique et agréable, exacte et poétique. D’un autre côté, M. Simrock s’est proposé de répandre dans le peuple, sous la forme de contes attrayants, un certain nombre de nos légendes épiques[2]. Noble pensée, et qui n’était encore venue à aucun de ceux qui travaillent en France pour les ouvriers et pour les enfants ! Par malheur, il est de ces légendes allemandes qui ne sont pas empruntées à notre tradition épique, et dont la note est absolument fausse. Telle est celle qui représente le neveu de Charlemagne survivant à Roncevaux et venant habiter, sur les bords du Rhin, la terre qui est encore aujourd’hui connue sous le nom de Rolandseck. C’est là que Roland s’occupe, durant tout le reste de ses jours..., à regarder de loin le couvent de Nonnenwerth où s’est enfermée sa fiancée Hildegonde qui l’a cru mort[3]. Hélas ! hélas ! voyez-vous Roland, transformé, sur ses vieux ans, en je ne sais quel jeune premier, blond, sentimental et rêvassier ? Il vaudrait peut-être mieux oublier tout à fait une légende que de la travestir et de la dénaturer à ce point...

Puisque nous sommes en Allemagne, suivons notre légende voyageuse tout près de là : pénétrons avec elle dans ces pays

  1. Das Rolandslied, das älteste französische Epos, ubersetzt von Dr Wilhelm Hertz. Stuttgart, 1861, in-8o.
  2. Kerlingisches Heldenbuch, Francfort, 1855.
  3. Contes allemands, imités de Hebel et de Simrock, par N. Martin. Paris, Hachette, 1867.