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INTRODUCTION

Étant donnés des poëmes tels que ceux de Mouskes et surtout de Girart, on devait nécessairement aboutir à nos Romans en prose. À de si mauvais vers, le public de ce temps-là déclara nettement qu’il préférait la prose, si médiocre qu’elle pût être. Or, c’est un maître heureux que le public. À peine exprime-t-il un désir littéraire, qu’il se trouve toujours cent lettrés pour le satisfaire. Dès le xive siècle, d’aimables gens s’offrirent à contenter les lecteurs dégoûtés de la poésie. Et vite, « afin que plusieurs y prissent plaisir, ils se mirent à translater tous nos Romans de rimes en prose. » Tels sont les propres termes dont les nouveaux romanciers se servent pour désigner leur méchante besogne, et ils ne méritent guère, en effet, que le nom de traducteurs.

C’est ainsi qu’après avoir été maladroitement imitée et cléricalisée dans la Chronique du Faux Turpin ; après avoir été affadie et délayée par les auteurs de nos remaniements ; après

    jamais été si bavard. Qu’on en juge par le fragment suivant, que nous traduisons pour nos lecteurs : « Roland regretta son cheval — Qu’il avait sous lui dans la vallée ; — Et je veux vous le raconter — Comme l’histoire me le dit : « — Cheval de prix, cheval hardi, cheval terrible, cheval d’élite. — Quel est celui qui désormais te montera, — Soit en tournoi, soit en bataille ? — On était sur toi plus tranquille — Que dans une tour à triples murs. — Qui serviras-tu maintenant, Veillantif ? — Et, quand je meurs, que vas-tu devenir ? — Dieu ! si tu tombes au pouvoir d’un païen ou d’un traître, — Comme mon âme sera dolente et triste ! » — Roland, ensuite, regrette son cor : — « Eh ! cor d’ivoire, si bien orné d’or, — Bel et bon cor, d’un si beau son, — Plein de tant de mélodie, — Qui te sonnera désormais — Soit en paix, soit en guerre ? — Si tu tombes aux mains d’un lâche ou d’un méchant, — Mon âme deviendra folle de douleur. » — Puis, il regrette Charlemagne, — Son oncle Charlemagne, comme vous allez l’entendre : — « Ô roi hardi, roi large et preux, — Le plus vaillant qu’on ait jamais vu, — Où trouveras-tu maintenant des conseillers — Pour la paix ou pour la guerre, — Quand les douze Pairs sont morts, — Trahis par l’infâme Ganelon ? » — Après quoi, il se prit à regretter la France. « — Terre plantureuse et franche, dit-il, — Terre riche en prés, en bois et en rivières, — En vins et en bons chevaliers, — En belles jeunes filles et belles dames, C’est grand deuil, c’est grand dommage de vous perdre. — Et voilà que vous allez rester veuve — De votre gent loyale et hardie ! » — Et Roland alors se mit à regretter — Tous ses compagnons, un à un, par leurs noms. — Mais c’est par Olivier qu’il commença… » (v. 8,032-8,072.)